Mais lorsque celle-ci baisse, que nous apprend-t-elle d’une société?
L’espérance de vie à la naissance des Canadiens est en baisse. C’est ce que révèlent les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les données mises à disposition par l’organisation internationale sont nombreuses et remontent jusqu’aux années 1960.
De 1960 à aujourd’hui, pour tous les pays membres de l’OCDE (pays majoritairement développés) les courbes, à des niveaux différents, ont toutes observé une croissance relativement stable, soit une augmentation de l’espérance de vie à la naissance. Mais récemment, certaines courbes commencent à s’inverser, notamment celle du Canada.
Entre 2019 et 2020 (les données pour le Canada s’arrêtent en 2020 à l’heure d’écrire ces lignes), l’espérance de vie à la naissance des Canadiens est passée de 82,30 ans, à 81,70. Il ne s’agit cependant pas d’une baisse drastique, en particulier lorsqu’on la compare aux États-Unis, par exemple, qui est passée de 78,80 ans en 2019 à 76,40 en 2021. D’ailleurs, le sociologue Dennis Raphael, qui a beaucoup écrit sur les inégalités sociales et leur rapport avec la santé au Canada, préfère dire que l’espérance de vie « stagne ».
« C’est un déclin relatif aux autres pays de l’OCDE. Par exemple, le taux de mortalité infantile est de 4,5 pour 1 000, dit-il, le même qu’en 2020. Au Canada, ce chiffre n’a pas évolué, alors en comparaison aux autres pays dans lesquels il a baissé, nos performances sont en déclin. » En effet, parmi les 38 pays qui composent l’OCDE, au niveau du taux de mortalité infantile, le Canada se place 31e à seulement 7 rangs de la dernière place occupée par la Colombie dont le taux de mortalité infantile est de 16,5 pour mille. C’est le Japon qui occupe la première place avec un taux à 1,7, suivi de près par la Finlande avec 1,8. Pourtant, les chiffres canadiens n’ont quasiment pas changé depuis le début des années 2000 où le pays se plaçait alors 18e du classement.
À l’époque, le Japon siégeait à la seconde place avec un taux de mortalité infantile de 3,2 pour mille, la Colombie était toujours dernière avec 27,8. Alors, force est de constater que si les choses n’empirent pas ici, elles s’améliorent ailleurs.
« Garantir la sécurité économique et sociale, c’est garantir qu’une société est en bonne santé. »
Dennis Raphael
Les déterminants sociaux de la santé
Comment explique-t-on alors ce « déclin relatif »? « Mon avis, lance le sociologue, professeur à l’Université de York à Toronto, c’est que tous les déterminants sociaux dont on sait qu’ils sont directement liés à la santé dégringolent.
« L’accessibilité du logement, la sécurité de l’emploi, la sécurité alimentaire. Les seules choses qui sont en hausse ces dernières années, ce sont les taux de pauvreté et l’inégalité des revenus. » Sur le site de l’organisation internationale, la courbe qui représente le taux de pauvreté ne cesse de diminuer depuis 2015, passant de 14,5 % à 8 % en 2020. De son côté, Statistique Canada estime que le taux de pauvreté général au Canada a atteint les 7,4 % en 2021, contre 6,4 % en 2020. Le taux de pauvreté a donc diminué de 2015 à 2020 avant de remonter en 2021. Les données pour 2022 et 2023 n’étant pas encore disponibles, La Liberté n’est donc pas en mesure de les fournir.
En revanche, l’inégalité des revenus s’est bel et bien creusée depuis les années 2000. C’est ce que démontre Statistique Canada dans un tableau publié cette année 2023. En divisant la population dans 10 déciles différents en fonction de leurs revenus, il est possible de faire une comparaison entre les revenus moyens en l’an 2000 et en 2020. Il apparaît alors clairement que l’écart s’est accru entre les différentes classes de revenus. Couplé à l’augmentation du coût de la vie, les classes les plus pauvres le sont de plus en plus, le premier décile quant à lui, a pris le large en 2020. (1)
« Garantir la sécurité économique et sociale, c’est garantir qu’une société est en bonne santé. » Dans un livre qui devrait paraître au mois de janvier 2024, Dennis Raphael utilise des données disponibles publiquement. L’un des tableaux, montre que les Canadiens les plus riches vivent en moyenne plus longtemps que les plus pauvres. 81,7 ans pour les hommes, 84,8 ans pour les femmes qui font partie des plus riches contre 76,4 ans chez les hommes et 81,7 ans chez les femmes les plus pauvres. De plus, le livre met également en avant un lien direct entre la classe de revenus et la consommation d’opioïdes, mais aussi, les personnes pauvres sont plus à risque de contracter des maladies cardiaques.
Quelles solutions?
La solution passe donc par la politique publique d’un pays, par ses investissements pour diminuer les inégalités d’accès aux déterminants sociaux de la santé. Pour cela, il faut se tourner du côté des dépenses d’un pays, de ses investissements, et notamment : des dépenses publiques sur le marché du travail.
Ces dépenses visent à améliorer les conditions générales du marché du travail en premier lieu, mais elles concernent également les assurances emplois, les formations professionnelles mais aussi, les soins de santé, l’aide au logement et l’assistance alimentaire. En bref, les dépenses publiques sur le marché du travail concernent la majorité des déterminants sociaux de la santé.
Et de ce côté-là, et bien le Canada n’a pas à rougir. En 2020, le Canada allouait 4,8 % de son PIB sur le marché du travail, se hissant en tête de la liste des pays membres de l’OCDE devant l’Espagne et la Nouvelle-Zélande. Malgré tout, Dennis Raphael reste sur la réserve et estime que les dépenses du pays vont diminuer. Pour le sociologue, la solution est ailleurs. « Il faut rendre accessible le fait de se syndicaliser. Les Nations qui réussissent ont une proportion élevée d’accords collectifs. Car les employeurs reconnaissent les avantages pour leurs entreprises : meilleure stabilité de la main-d’œuvre, meilleure formation professionnelle et meilleure fidélité des employés. » Mais surtout, et c’est là l’argument principal du sociologue : « Les syndicats améliorent non seulement les conditions des travailleurs, ils leur donnent aussi plus de voix. »
D’autres facteurs
David Alper est professeur à l’école de travail social de l’Université de Saint-Boniface. David Alper est très au fait du travail de Dennis Raphael et connaît bien le sujets des déterminants sociaux de la santé. Il souligne d’ailleurs que ces derniers diffèrent d’un pays à l’autre. « Par exemple, l’un des déterminants sociaux de la santé spécifique au Canada dont il faut tenir compte, est le fait d’être autochtone. » Un postulat que le professeur tient du travail de Dennis Raphael.
Il existerait donc un lien direct entre les morts prématurées et les conditions de vie des individus, mais David Alper mentionne d’autres facteurs « moins tangibles, comme l’autodétermination, avoir un certain contrôle sur les décisions importantes dans sa vie quotidienne et le stress ont des conséquences très importantes, néfastes ou bénéfiques sur la santé. » Ce pouvoir de décision sur sa vie et la répartition de son temps, il est intimement lié au statut social, donc au métier et au salaire. Alors en suivant cette logique, moins d’argent signifie moins de pouvoir d’achat et donc moins de pouvoir sur sa vie et son travail.
(1) En 2000, le revenu annuel moyen après taxe du premier décile était de 170 900 $, il est passé à 214 700 $ en 2020.
Le huitième décile est passé de 82 400 $ en 2000 à 106 900 $ en 2020. La différence avec le premier décile est donc passée de 88 500 $ à 107 800 $.
Le troisième décile comptait 29 200 $ par an en 2000, 38 000 $ en 2020. La différence avec le premier décile est passée de 141 700 $ à 176 700 $.
Le dernier décile comptait 8 300 $ par an en 2000, 14 000 $ en 2020. La différence avec le premier décile est passée de 162 600 $ à 200 700 $.