La première phase d’essai sur les humains devrait commencer en janvier 2024.

418 personnes sont décédées en 2022 au Manitoba par une surdose de fentanyl. Et de l’autre côté de la frontière, même si les chiffres sont moindres, le constat est le même, les morts par surdose augmentent. Au point où le Dr Jay Evans n’hésite pas à le dire « aux États-Unis, il y a une crise des opioïdes ».

C’est cette crise des opioïdes qui a décidé le Dr Jay Evans à se plonger dans la recherche d’une solution. « Nous nous sommes associés à l’un des leaders dans ce domaine, le Dr Marco Pravetoni qui travaillait pour l’Université du Minnesota et aujourd’hui est à l’Université de Washington. Il avait une expertise en matière de vaccins anti-opioïdes et de notre côté, cela faisait plusieurs années que nous travaillions sur un programme visant à générer des réponses anticorps contre le médicament afin d’empêcher son transport vers le cerveau. »

Union d’expertise

Cette union d’expertise a donc permis d’aboutir à un vaccin contre les opioïdes qui est voulu dans une optique de guérison, le Dr Jay Evans explique le fonctionnement d’un tel vaccin. « Les anticorps ne traversent pas facilement la barrière hémato-encéphalique. Et le récepteur opioïde, pour le fentanyl, l’héroïne, toutes ces choses, se trouve dans le cerveau. Mais les drogues sont absorbées dans la circulation sanguine.

« Elles traversent ensuite la barrière hémato-encéphalique et pénètrent dans le cerveau où elles exercent leur effet. Ainsi, si le titre d’anticorps contre le fentanyl est suffisamment élevé dans la circulation sanguine lorsqu’une personne consomme du fentanyl, de l’héroïne ou tout autre opioïde de son choix, si un anticorps se lie à cette drogue, il l’empêche de franchir la barrière hémato-encéphalique et l’élimine de l’organisme.

« Vous n’obtenez donc aucun des effets d’euphorie ou de surdosage, aucune dépression respiratoire, rien, parce que la drogue n’atteint pas le récepteur cible. Ce vaccin est donc bel et bien destiné à des personnes qui veulent sortir de l’utilisation d’opioïdes. »

« Le vaccin permettrait d’éviter des surdoses et des morts. Mais l’objectif est d’aider les gens à arrêter. Et je pense que si vous les aidez à passer les deux ou trois années pendant lesquelles elles sont le plus à risque de réutiliser, leurs chances de s’en sortir sont bien meilleures. »

Dr Jay Evans

Opioïdes synthétiques

Si l’explication semble si simple, il aura tout de même fallu attendre jusqu’en 2023 pour voir son apparition et il faudra encore attendre pour que le vaccin soit sur le marché public. Pour Dr Jay Evans, c’est la technologie associée aux vaccins qui a permis d’avancer sur celui contre les opioïdes. « Il faut des années pour que ces vaccins arrivent jusqu’aux essais cliniques et qu’ils les traversent.

« Nous travaillons sur ce vaccin contre le fentanyl et sur un vaccin contre l’héroïne depuis environ trois ans. Le Dr Marco Pravetoni y travaille depuis dix ans. Ce n’est donc pas nouveau en ce sens. Mais les technologies sont meilleures.

« De plus, depuis cinq ans, la crise des opioïdes s’est accélérée avec l’apparition d’opioïdes synthétiques. »

Durée d’un vaccin

D’ailleurs, le Dr Jay Evans tient à préciser que ce vaccin contre les opioïdes n’interfèrera pas avec les médicaments à base d’opioïdes. « Le système immunitaire est extrêmement spécifique. Notre vaccin contre le fentanyl ne réagit pas de manière croisée avec la morphine, l’oxycodone ou d’autres opioïdes car les opioïdes restent les analgésiques les plus couramment utilisés pour les douleurs chroniques ou aiguës. »

Autrement dit, suivant le type de vaccin que la personne aura reçu, elle ne pourra plus recevoir l’opioïde contre lequel elle a été vaccinée. Bien que le vaccin ne soit pas définitif comme le souligne le Dr Jay Evans. « On ne peut pas vraiment modéliser dans les essais cliniques la durée d’un vaccin. Mais sur la base des vaccins conjugués qui sont actuellement approuvés, nous nous attendons à ce que les titres d’anticorps restent suffisamment élevés pendant probablement deux à trois ans.

« C’est une estimation. Cela pourrait être plus long. C’est quelque chose que nous devrons surveiller. Mais cette période de deux à trois ans, est vraiment la zone de danger pour les personnes dépendantes aux opioïdes qui suivent une cure de désintoxication. »

Vers une sobriété

D’après le National Institute of Drug Abuse des États-Unis, 40 à 60 % des personnes souffrant de toxicomanie feront une rechute dans leur vie. Pour le Dr Jay Evans, ce vaccin est un outil supplémentaire pour soutenir ceux et celles qui souhaitent sortir de leur dépendance. « Les personnes qui ont fait usage d’opioïdes et qui en sortent, replongent dans l’année suivante de leur sobriété. C’est là que se trouve le plus grand danger d’une surdose, leurs corps n’est plus habitué.

« Donc le vaccin permettrait d’éviter des surdoses et des morts. Mais l’objectif est d’aider les gens à arrêter. Et je pense que si vous les aidez à passer les deux ou trois années pendant lesquelles elles sont le plus à risque de réutiliser, leurs chances de s’en sortir sont bien meilleures. »

Phase 1

En janvier 2024 devrait démarrer la phase 1 d’un vaccin contre l’héroïne et quelques mois plus tard, le vaccin contre le fentanyl devrait entrer dans cette phase 1 également. Pour le Dr Jay Evans s’est évidemment une lueur d’espoir pour toutes les personnes qui souffrent de dépendances et pour leur famille. « La toxicomanie est une maladie. Les gens pensent que la toxicomanie est un choix, mais non. La drogue reprogramme le cerveau et le système des gens pour qu’ils deviennent accro.

« Un vaccin pareil pourrait aider des familles en sauvant des vies. C’est quelque chose qui pourrait soulager tout le monde : les dépendants, leur famille, leurs enfants… Si nous pouvons les aider à arrêter d’utiliser et à retrouver une vie normale, ça serait un énorme progrès pour la société. »

Un point est important à préciser pour le Dr Jay Evans, une vaccination se ferait dans un cadre médical pour sortir de la toxicomanie avec un consentement éclairé de la personne. Aucun vaccin préventif sur une personne non consommatrice ne serait envisagé.