À une époque où la population mondiale ne cesse de croître et où le changement climatique commence à manifester concrètement son existence, par l’augmentation des températures mondiales, entre autres, l’industrie agroalimentaire doit faire face à de nombreuses pressions. Un besoin en ressources alimentaires en hausse au niveau mondial, mais aussi, puisque la population augmente, les villes s’étendent et les espaces propices à l’exploitation agricole se font de plus en plus rares.

Au Canada, l’on dénombre 189 874 exploitations agricoles dites primaires, concentrées principalement dans les Prairies, le Québec et le sud de l’Ontario. Cela représente 62,2 millions d’hectares de terres, donc environ 6,2 % du territoire canadien. Le site web du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada indique d’ailleurs que la taille moyenne des exploitations a quasiment doublé en 50 ans.

Évidemment sur un territoire comme celui du Canada, l’espace ce n’est pas ce qui manque, mais force est de constater que le développement urbain et l’agriculture ont déjà causé d’importants dommages.

En veut pour preuve la situation des prairies natives du Manitoba, qui ne représentent aujourd’hui que moins d’1 % de ce qu’elles étaient.

Une solution pour le Nord

Au vu de ces nouveaux défis, il n’est donc pas surprenant que la recherche se soit penchée vers de nouvelles techniques et méthodes d’agriculture, notamment, le système de culture verticale intelligent.

C’est par exemple le cas du Docteur Qiang Zhang, professeur au Département de génie des biosystèmes à l’Université du Manitoba. Ses recherches s’articulent, entre autres, autour des systèmes de culture verticale intelligents et de la production en serre dans les conditions climatiques du Nord. Il explique les raisons qui l’ont mené vers ce domaine de recherche.

« En tant qu’universitaires, nous sommes toujours à la recherche de nouvelles technologies, de nouvelles solutions. En ce qui concerne l’agriculture verticale intelligente, au vu des prix actuels de l’énergie et la demande en nourriture, il nous faut trouver un moyen viable de produire de la nourriture dans les régions froides, et les communautés du Nord. »

Rôle des nouvelles technologies

Pour le professeur, qui a commencé ses recherches il y a près de 20 ans, les nouvelles technologies ont joué et joueront encore un rôle décisif dans le futur de l’agroalimentaire.

« Les plus gros défis pour produire de la nourriture dans le Nord, ce sont les journées courtes et les températures. Le problème des températures nous avons pu le régler relativement facilement avec l’agriculture en intérieur, mais l’éclairage a longtemps était un casse-tête. Aujourd’hui, nous avons fait de tel progrès avec l’éclairage LED que cette méthode s’est transformée en solution. » Le professeur estime qu’une ferme de 13 mètres carrés (environ 140 pieds carrés) devrait produire suffisamment pour une centaine de personnes.

Bien sûr, tout n’est pas encore parfait, par exemple, l’éclairage LED est très énergivore, alors des sources alternatives sont envisagées, comme l’énergie éolienne ou encore solaire et pour l’heure, le système n’est viable que pour les légumes-feuilles, les petits fruits, comme les tomates ou les fraises et les herbes fines. Quoi qu’il en soit, trouver la recette parfaite pour ce type d’agriculture est un jeu qui en vaut la chandelle. Et ce pour plusieurs raisons.

De nombreux avantages

Dre Miyoung Suh est professeure au Département des sciences alimentaires et des sciences nutritionnelles humaines à l’Université du Manitoba. Dans le cadre de ses recherches, la docteure s’est rendue dans le Nord, sur le territoire de la nation Cree Opaskwayak près de Le Pas. Là-bas, une ferme verticale intelligente a été mise en place en 2016 et Dre Miyoung Suh a la charge d’étudier les bienfaits nutritionnels des légumes qui y poussent. « De ce que j’en sais, il s’agit de l’un des systèmes les plus avancés dans le monde de l’agriculture verticale. »

Par son fonctionnement, la méthode offre des avantages certains par rapport à l’agriculture traditionnelle. En particulier dans les régions du monde où l’agriculture est laborieuse, voire impossible, et où les produits frais sont une denrée rare. C’est ce qu’explique Dre Miyoung Suh.

« Dans les communautés du Nord, les aliments en conserve et transformés sont courants, mais pas les légumes frais. Ils dépendent donc souvent du Sud pour s’approvisionner. Si le programme réussit, ils seront en mesure de faire pousser leurs légumes à longueur d’année. »

Analyser et optimiser

D’abord, la disposition verticale des plants résulte en un gain d’espace non négligeable. Et, puisque les légumes poussent en intérieur, ils ne sont donc pas soumis aux intempéries et aux caprices des saisons, mais surtout : « Tout est contrôlé par ordinateur. »

« Nous utilisons un système hydroponique, explique Dre Miyoung Suh. Les racines sont en contact avec de l’eau qui circule en permanence. L’eau circule dans une sorte de boucle, et passe à travers un système de lampes UV qui va la purifier, en y tuant les insectes par exemple. De plus, l’eau est enrichie avec des nutriments qui sont remélangés avant de repartir dans la boucle. Nous n’avons donc besoin que d’un volume minimum d’eau dont 95 % est réutilisé. »

Nul besoin d’engrais, de pesticides ou d’herbicides, et, étant donné que l’apport en eau et en nutriments est constant, le rendement, lui, est stable et optimisé.

« C’est une agriculture intelligente parce que depuis mon bureau à Winnipeg je peux contrôler tous les paramètres d’une ferme située à 8 heures de route. La température de la pièce, les nutriments, le taux de PH et le niveau d’oxygène dans l’eau en passant par l’éclairage. »

Pour la chercheuse, la possibilité d’intervenir directement sur les conditions de pousse des légumes permet de définir les paramètres qui permettent d’obtenir à la fois les meilleurs rendements, mais aussi le meilleur apport nutritif.

« Les légumes sont plus riches en nutriments. Cela veut dire que les membres de la communauté ont besoin de consommer moins pour des bénéfices similaires sur leur santé. »

À quel coût?

Il est aussi possible de voir au-delà du Canada et des Territoires du Nord. Ces fermes sont de plus en plus répandues aux États-Unis, dans les pays très urbanisés en Asie et dans les pays du Golfe. Elles permettent de rendre les villes plus autosuffisantes en termes de ressources alimentaires tout en réduisant l’empreinte carbone qui accompagne le transport de ressources. Pour la Corée du Sud par exemple, très en avance sur la méthode, c’est le manque de place qui motive le développement de structures verticales.

Mais il existe encore un obstacle de taille avant de voir ces fermes se démocratiser.

Les coûts d’installation et d’opérations sont encore trop élevés. À ce propos d’ailleurs, nos deux chercheurs ne sont pas tombés d’accord sur le prix. Le Dr Qiang Zhang argue que les coûts sont variables. Il parle de 150 000 $ pour des unités de la taille de conteneur d’expédition. Dre Miyoung Suh estime que le système complet coûte autour des 250 000 $. Certains sites spécialisés donnent des sommes allant jusqu’à 400 000 $. Et cela, sans compter les factures énergétiques associées au fonctionnement de ces systèmes intelligents.