Cet outil pour les enseignants à travers le Canada met l’art des femmes autochtones en vedette. Une mise à jour d’un contenu paru pour la première fois en 2019, que les découvertes et les avancées en matière de réconciliation ont rendue nécessaire.

Le centre MAWA encourage et soutient le développement intellectuel et créatif des femmes dans les arts visuels, s’est lancé dans une initiative un peu hors du commun en 2018 : mettre sur pied une exposition qui s’accaparerait de l’espace public pour y montrer les œuvres d’artistes féminines, plus particulièrement les œuvres de femmes autoch- tones. Avec l’aide de la conservatrice mohawk, Lee- Ann Martin, le projet Resilience voit le jour, et les œuvres de 50 femmes autochtones seront exposées sur des panneaux publicitaires, sur des bus, dans les centres communautaires et les écoles pendant l’été 2018.

Faire vivre l’exposition plus longtemps

Après un été sous le signe du succès pour ce projet d’une portée impressionnante, et des œuvres observées 23 millions de fois selon l’agence de location de panneaux publicitaires, l’exposition se termine sur une sensation amère : celle de n’en avoir pas fait assez.

MAWA se tourne alors vers Albert McLeod, Aîné bispirituel, l’artiste autochtone interdisciplinaire Lita Fontaine, et les enseignantes et artistes Dawn Knight et Yvette Cenerini, pour faire vivre le projet un peu plus longtemps. « Ils (MAWA) ont décidé de créer un guide pédagogique que l’on pourrait distribuer dans les salles de classes de la maternelle à la 12e année, explique Yvette Cenerini. C’était une chance d’œuvrer pour la réconciliation en mettant en avant des artistes autochtones contemporaines pour que les écoles parlent des vécus autochtones avec une nouvelle perspective. »

Ces guides ont donc été pensés pour offrir aux enseignants des ressources pour intégrer les arts et les histoires autochtones dans leur classe. Le guide, disponible en anglais et en français, s’accompagne de cinquante cartes artistiques des œuvres contemporaines sélectionnées, elles-mêmes accompagnées d’écrits de la part des artistes.

Dix sections

Quant au contenu du guide, Yvette Cenerini, qui est spécialiste en éducation artistique auprès de MAWA, donne quelques détails. « Il se divise en dix sections, avec différents thèmes, notamment sur le perlage floral, la résilience autochtone, ou encore l’art et l’activisme. Les sujets sont, pour la plupart, liés au curriculum, et ceux qui ne le sont pas n’en sont pas moins importants. »

Car si l’art est au centre de ces guides, il n’en est pas nécessairement le cœur. Il ne s’agit pas seulement de parler d’art autochtone, l’objectif est aussi d’amener les élèves vers autre chose : « Le pouvoir de l’image est un bon outil éducatif pour entamer des discussions, pour débuter des unités sur différents peuples, ou encore pour parler des Traités. »

Pour expliquer et détailler le contenu de chaque œuvre ainsi que certains symboles spécifiques, un lexique a aussi été prévu. « Ça représente beaucoup de travail de recherche, confie Yvette Cenerini, qui explique avoir consulté de nombreux livres et vidéos. Comme ça, l’enseignant n’a pas besoin de faire cette recherche, il a tous les outils à disposition pour créer son propre plan de leçon. C’est un outil assez flexible. »

Un travail continu 

Un outil flexible, avec un contenu qui continue d’évoluer.

La première édition de Resilience : 50 cartes d’art autochtone et guide pédagogique a été publiée en 2019. Le guide avait été distribué gratuitement dans les écoles winnipégoises, mais aussi dans les écoles rurales du Manitoba, ainsi que celles qui font partie des communautés autochtones à travers le Canada. Yvette Cenerini précise qu’« au moins la moitié a été distribuée gratuitement ».

Et pour cette réédition de 2023, des modifications ont dû être apportées au contenu des guides. « Nous avons dû faire plusieurs changements. Au niveau du langage, par exemple, certains mots qui étaient acceptables en 2019 ne le sont plus. Au niveau des informations aussi, il s’est avéré que certaines étaient erronées et ont dû être mises à jour. » (Voir encadré)

Elle-même artiste autochtone, Yvette Cenerini indique qu’elle a perçu la création de cet outil pédagogique comme une « urgence ».

« Plutôt que d’attendre la création d’un curriculum par le gouvernement, MAWA a réalisé que nous pouvions faire quelque chose qui pouvait arriver rapidement dans les mains des enseignants en s’assurant que les informations étaient justes. » Elle précise d’ailleurs que le guide ne s’adresse pas seulement aux enseignants des Prairies. Pour cause, le guide a été vendu jusqu’aux États-Unis, dans l’Est et l’Ouest, déclare l’artiste.

Depuis le lancement de cette édition à la fin septembre 2023, 2 000 impressions ont déjà été distribuées.

Vers une rédaction plus inclusive

Comme l’explique Yvette Cenerini spécialiste en éducation artistique, de nombreuses modifications et mises à jour ont été apportées au guide pédagogique. Par exemple, le pronom « iel » a été ajouté à certains endroits pour rendre la rédaction plus inclusive. Une section entière a été dédiée à la notion d’appropriation culturelle, ainsi que sur le droit d’auteur. « Nous souhaitions encourager les élèves à respecter la culture d’autrui, et à créer à partir de leur propres identités et vécus pour réaliser des œuvres uniques », explique Yvette Cenerini.

Il a aussi fallu faire disparaître des mots. La spécialiste en éducation indique que le film de l’Office national du film (ONF) Eskimo Artist : Kenojuk a été remplacé par une vidéo de TVOntario Arts : Kenojuak Ashevak, The Enchanted Owl. Et ce pour une raison simple.

« Le terme esquimau est un mot péjoratif. Le film de l’ONF est un ancien film des années 60, qui l’utilisaient à la place d’Inuk et Inuit. Même si la page web du site donne un avertissement à cet égard, nous ne voulions pas que le mot apparaisse dans le guide pédagogique. Nous avions choisi d’inclure

le film dans les premières éditions en pensant que c’était acceptable… nous n’en sommes plus convaincus. Cette expérience fut pour moi un grand moment d’humilité. Alors que j’écoute, apprends et grandis, ma prise de conscience et mes attitudes évoluent elles aussi. C’est sûr que dans quelques années, il y aura encore d’autres choses dans le guide pédagogique qui ne devraient pas s’y trouver. En tant qu’éducateur, il est de notre devoir de revisiter le matériel pédagogique qui circule. Au moins, nous avançons dans la bonne direction. »