Marine Ernoult – Francopresse

Les forêts canadiennes sont loin d’être tirées d’affaire. D’est en ouest, le manque de neige pourrait se traduire par une saison des feux particulièrement intense au printemps. 

« Ce n’est pas toujours le cas, mais si l’on regarde les tendances du passé, les années El Niño à faible enneigement sont associées à une plus grande superficie brulée », révèle Ellen Whitman, chercheuse au sein du Service canadien des forêts de Ressources naturelles Canada, en Alberta. 

Selon la scientifique, dans le sud et l’ouest des Territoires du Nord-Ouest, de même que dans le nord de l’Alberta, l’épaisseur du manteau neigeux est inférieure de 10 à 20 centimètres à la moyenne.

« Nous avons un enneigement bien en deçà de la normale sur une assez large partie de l’ouest du Canada. C’est même assez spectaculaire à certains endroits », constate la spécialiste. 

Les prévisions météorologiques ne rassurent pas Ellen Whitman : « Nous anticipons du temps très chaud au cours des prochaines semaines, avec plus de précipitations sous forme de pluie que de neige. »

Printemps chaud et sec hautement à risque 

L’ensemble du pays se trouve dans une situation similaire. Philippe Gachon, professeur au Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal, parle d’« année exceptionnellement sèche, en particulier dans les territoires du nord ».

« Les conditions fluctuent énormément, mais cette année nous avons moins de neige que d’habitude », confirme l’hydroclimatologue. 

Il rappelle que le mois de décembre 2023 a été le plus chaud jamais enregistré au Canada depuis le début des relevés météorologiques.

Philippe Gachon s’inquiète de la sècheresse hivernale que traverse présentement le pays. Car plus la neige est abondante, plus le risque d’incendie diminue. Inversement, moins il y a de neige, plus ce risque augmente. Au printemps, la fonte des neiges permet en effet d’humidifier les sols.  

L’épaisseur de la neige n’est pas le seul facteur qui entre en ligne de compte. Tout va dépendre des précipitations et des températures de l’air au printemps.

« Des températures élevées associées à un déficit de pluie pourraient entrainer une disparition rapide de la neige à partir du mois d’avril, ce qui donnerait lieu à des feux de forêt inhabituellement précoces », observe Philippe Gachon. 

« Il suffira d’un peu de vent ou d’un orage pour que les feuilles et les aiguilles [de conifères] s’enflamment. C’est un combustible extrêmement inflammable, car complètement déshydraté après avoir passé l’hiver sous la neige », poursuit-il. 

C’est exactement le scénario catastrophe qui s’est produit en 2023 lorsque 18 millions d’hectares de forêt canadienne sont partis en fumée. 

Des feux qui refusent de mourir

Les chercheurs prévoient par ailleurs une saison d’enneigement plus tardive et plus courte dans les années à venir à cause du réchauffement climatique.

« Cette perte continue de neige dans un climat qui se réchauffe signifie que les feux de forêt bruleront pendant de nombreux jours supplémentaires chaque année au Canada, surtout dans le nord », affirme Philippe Gachon. 

Un autre phénomène préoccupe les scientifiques : les incendies zombies, surnommés ainsi car ils semblent ressusciter d’entre les morts. 

Ces feux souterrains se déclarent durant l’été et couvent sous la neige pendant tout l’hiver, même lorsque le thermomètre tombe à -40 °C. 

« Il y en a actuellement dans le sud des Territoires du Nord-Ouest, où la sècheresse est extrême et une accumulation de neige un peu réduite par rapport à la normale », détaille Ellen Whitman. 

Comment ces incendies peuvent-ils survivre au froid glacial de l’hiver arctique? Ellen Whitman explique que les tourbières des hautes latitudes contiennent beaucoup de matière organique, qui sert de combustible, et d’oxygène, qui entretient la combustion. 

« La neige et la litière de mousse et d’aiguilles constituent des barrières qui protègent ces feux des conditions hivernales défavorables, comme la pluie ou l’excès d’humidité, et limitent les pertes de chaleur », ajoute-t-elle. 

Compliqué à combattre 

Une étude parue dans la revue Nature en 2021 a montré que des températures estivales extrêmes, qui entrainent des sècheresses intenses et allongent la saison des feux, favorisent particulièrement les incendies zombies.

« C’est alarmant, car ils peuvent ressurgir en surface au printemps suivant si le temps est de nouveau chaud, sec et venteux », avertit Ellen Whitman. 

Ces feux, presque impossibles à repérer sur les images satellites et situés dans des zones éloignées et d’accès compliqué, sont difficiles à combattre.

D’après les résultats de l’étude, ils raseraient des superficies relativement restreintes. Ils seraient responsables, selon une moyenne établie entre 2002 et 2018, de moins de 1 % des surfaces brulées dans les Territoires du Nord-Ouest et en Alaska. Mais ce chiffre varie fortement selon les années – atteignant jusqu’à 38 %.

La hausse des températures pourrait entrainer une augmentation du phénomène à l’avenir, alors que l’Arctique se réchauffe à un rythme plus de deux fois supérieur au reste du monde.

« Les incendies zombies sont étroitement liés à la sècheresse et aux années de grands incendies, pour lesquels nous observons une tendance prononcée à la hausse avec le dérèglement climatique », indique Ellen Whitman.

Pour l’instant, le phénomène épargne l’est du Canada, « mais les conditions pourraient devenir favorables s’il y a toujours moins de neige et de précipitations », prévient Philippe Gachon.