Il suffisait de jeter un regard sur les terres humides du marais Oak Hammock fin janvier dernier pour se rendre à l’évidence : « Il y a un manque de neige flagrant! », affirme Jacques Bourgeois, coordonnateur du marketing et des communications au marais Oak Hammock. Pour l’expert, la faible couche de neige a des conséquences à la fois négatives et positives sur la faune et la flore manitobaine.
« Du côté positif, quand il y a moins de neige, les animaux sauvages herbivores comme les cerfs, les lièvres, les lapins et les oiseaux trouvent de la nourriture plus facilement et en plus grande quantité puisqu’elle n’est pas ensevelie sous une épaisse couche de neige.
« On peut bien observer ce phénomène au niveau des mangeoires d’oiseaux. Cet hiver, les oiseaux sont beaucoup moins nombreux à venir se nourrir de graines dans les mangeoires car ils peuvent eux- mêmes trouver ce dont ils ont besoin dans la nature. Ils sont donc moins dépendants des humains pour se nourrir. »
Face aux prédateurs
L’absence relative de neige a également un impact positif sur certains animaux face à leurs prédateurs, notamment les cerfs. « Ils sont moins sujets à la prédation car ils peuvent s’échapper plus vite et plus facilement, explique Jacques Bourgeois. Ils ne sont pas ralentis par la neige. »
En revanche, ce qui est un avantage pour les uns est un défi pour les autres : ceux qui les traquent, comme les loups, ont pour leur part plus de difficulté à attraper leur nourriture sans l’aide de la couche neigeuse.
Mais ce n’est pas le cas de tous les prédateurs. « Les animaux qui deviennent blanc en hiver, comme le lièvre d’Amérique, deviennent beaucoup plus faciles à repérer pour leurs prédateurs car ils ne peuvent plus se camoufler, déplore Jacques Bourgeois. Et comme ils ne réalisent pas qu’ils ne sont plus invisibles, ils s’immobilisent plutôt que de s’enfuir, comme ils le feraient pour disparaître sur le blanc de la neige. Ils deviennent donc des proies très faciles pour les prédateurs.
« De même, les petits rongeurs comme les souris et les campagnols, qui ont l’habitude de creuser des tunnels sous la neige pour se cacher et échapper à leurs prédateurs, sont davantage exposés quand la couche de neige est mince. »
Ces petits rongeurs sont également à plus haut risque de mourir de froid. L’expert explique : « Une bonne couche de neige agit comme un isolant contre le froid. Une couche de neige mince peut donc être mortelle pour eux en cas de pic de grand froid, comme c’était le cas mi-janvier. »
Horloges déréglées
Les températures douces ont également un impact négatif sur l’horloge interne de certains oiseaux, insectes ou végétaux. Jacques Bourgeois explique : « Quand il fait plus doux que d’habitude, les insectes peuvent penser que c’est le printemps et sortir. Mais comme c’est encore l’hiver, ils ne trouvent pas de nourriture et meurent.
« C’est pareil pour les arbres. Certains sortent déjà leurs bourgeons, et si le froid revient par la suite, les bourgeons vont geler et mourir sans avoir donné de fruit. Ceci peut retarder l’éclosion des feuilles au printemps, voire même tuer une branche ou la plante. »
Le retour des oiseaux migrateurs peut également être affecté par les températures hivernales plus hautes que la normale. Selon Environnement Canada, les normales saisonnières à Winnipeg se situent fin janvier entre un maximum de -11 degrés Celsius et un minimum de -21 degrés Celsius. Ce 31 janvier, la température oscillait entre -1 et 5 degrés Celsius.
« Si les oiseaux migrateurs reviennent trop tôt à leur site de nidification, ils risquent de manquer de nourriture d’insectes à leur arrivée, ce qui va diminuer leur taux de succès pour la nidification, s’inquiète Jacques Bourgeois. Sans compter qu’ils pourraient subir un retour du temps froid et de la neige.
« En outre, quand il y a moins de neige, cela produit moins d’eau à la fonte. Le niveau d’eau des terres humides, des marais et autres plans d’eau est donc plus bas, ce qui laisse moins d’espace aux oiseaux pour nicher. Ces nids sont alors davantage exposés aux prédateurs. »
Et l’agriculture?
Au niveau des sols agricoles, les changements de températures et de précipitations neigeuses ont également un impact. Dr Brian Amiro est professeur émérite et chef par intérim du département de la science du sol à la Faculté des sciences agricoles et alimentaires de l’Université du Manitoba.
Il rappelle que « la neige est très importante pour l’humidité des sols. Quand il y a moins de neige en hiver, il faut espérer qu’on ait beaucoup de pluie au printemps et en été pour compenser et donner de bonnes récoltes ».
Jacques Bourgeois note cependant un point plus positif : « Si les sols sont moins gorgés d’eau à la fonte des neiges au printemps, les agriculteurs pourront semer plus tôt, ce qui sera un avantage pour eux. »
Brian Amiro précise par ailleurs que ce manque d’humidité n’est pas préjudiciable à tous les sols. En effet, « pour les sols calcaires, comme on en trouve près de Winnipeg, avoir moins de neige est plutôt une bonne chose car ça réduit les risques d’inondations à la fonte des neiges. Il y a donc du positif et du négatif à recevoir moins de neige l’hiver, tout dépend du type de sol sur lequel on est ».
Nouvelles maladies
Brian Amiro révèle une dernière conséquence à la tendance au réchauffement hivernal observée dans tout l’Ouest canadien : le potentiel plus élevé de maladies chez les animaux ou les plantes, mais aussi les humains.
« Des virus, parasites et autres insectes porteurs de maladies, qui d’habitude ne survivent pas au froid hivernal manitobain, pourraient de plus en plus survivre à l’hiver s’il est plus chaud. À long terme, on pourrait donc voir se développer des maladies qui n’existaient pas au Manitoba », prévient-il.
Doit-on s’inquiéter? Jacques Bourgeois se veut rassurant. « Certes, cet hiver 2024 est inhabituellement chaud et peu enneigé, mais ça fait partie du cycle naturel d’avoir des hivers plus chauds et d’autres plus froids. Pour le moment, je n’ai pas constaté que ça affectait vraiment négativement certaines espèces sur le long terme. Tant que ceci ne se répète pas d’année en année! », termine-t-il.
Un concours au Marais Oak Hammock
Le 2 février dernier, le Centre d’interprétation du marais Oak Hammock a lancé son concours annuel pour deviner l’arrivée de la première Bernache du Canada au marais.
« Nous organisons ce concours depuis 30 ans, précise Jacques Bourgeois, coordonnateur du marketing et des communications. Pour participer, il suffit de proposer une date et une heure d’arrivée. (1)
« La personne qui aura donné la réponse la plus proche de la date et heure d’arrivée de la première bernache de 2024 recevra une carte de membre annuelle familiale pour le Centre de découverte des terres humides du marais Oak Hammock et une bernache en peluche. »
Jacques Bourgeois donne quelques indices : « Le plus souvent, ça se passe entre mi-mars et début avril. En 2023, la première était arrivée le 24 mars. Mais il est déjà arrivé qu’elles arrivent un 21 février, c’était en 2017. »
(1) Le concours est gratuit et ouvert à toutes et tous jusqu’au 29 février 2024, ou jusqu’à l’arrivée de la première Bernache du Canada si cet évènement survient avant la fin du mois. Pour participer, visitez le www.marais.ca.