Les Prairies canadiennes ne sont pas épargnées et plusieurs activités qui ont l’habitude de prendre place pendant l’hiver au Manitoba sont perturbées.
Il faudra sûrement attendre quelques mois et les analyses des experts pour savoir si cet El Niño 2023-2024 est aussi intense que les épisodes 2015-2016 ou 1997-1998, recensés par Environnement Canada. Pour rappel, ce phénomène entraîne des hivers et des printemps plus doux que la normale dans l’Ouest, le Nord-Ouest et le Centre du Canada. Et selon le nouveau Bulletin Info-Niño/Niña publié par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le phénomène El Niño devrait durer au moins jusqu’en avril 2024.
Besoin du temps froid
Des informations qui ne doivent pas plaire aux organisateurs et organisatrices d’activités hivernales pour lesquelles le temps froid et la neige sont nécessaires. Le Festival du Voyageur, en tête, est impacté par le phénomène. Cette 55e édition, qui débute le 16 février, sera probablement marquée par l’absence de sculptures de neige. « Le manque de neige représente un défi cette année. Nous avons pu constituer quatre blocs de neige. Mais je ne sais pas si ces blocs seront encore là pour l’ouverture du festival. Avec la pluie qu’on a eue, je ne suis pas très confiante sur la grandeur des sculptures. On n’a pas trop de contrôle sur ça, malheureusement », nous disait en entrevue le 7 février Breanne Lavallée-Heckert, la directrice générale du Festival du Voyageur.
David MacNair, graphiste et sculpteur de neige qui a l’habitude d’œuvrer pendant le Festival du Voyageur, se dit attristé de la situation. « De la neige a été annoncée. Je ne sais pas si le Festival compte créer plus de blocs. Mais j’ai été vérifier sur site et là, la neige, c’est fini… »
De mémoire, l’artiste ne se souvient pas d’une telle situation. « Ça nous arrive que les sculptures fondent, mais ça, c’est pendant le Festival. Jamais avant comme ceci. »
Breanne Lavallée-Heckert, elle-même ancienne sculptrice de neige au Festival du Voyageur, comprend bien la déception des artistes. L’organisation proposera donc de sculpter sur d’autres médiums que la neige. « Il y a le bois ou la paille. Honnêtement, je suis excitée de voir ce que les artistes vont pouvoir créer avec ces autres matériaux. La neige reste unique, mais on doit s’adapter. C’est juste un moment pour essayer d’innover. »
Balade en traîneau sans neige
À l’image de Breanne Lavallée-Heckert, pour Marc-André Belcourt, cofondateur d’Harness Adventure Mushing Co. qui propose des voyages en chien de traîneau au Manitoba, cet hiver est une affaire d’adaptation et d’observation. « Ce n’est pas idéal, clairement. À date, je n’ai pas encore eu besoin d’annuler des visites guidées, mais l’impact ressenti est presque psychologique chez nos clients : comme ils ne voient pas de neige en ville, ils ne pensent pas nécessairement à nous. Ça donne une saison plus lente. »
S’il devait annuler des sorties par manque de neige, ce serait la première fois en sept ans depuis que l’entreprise est ouverte, souligne Marc-André Belcourt.
Après un début de saison sur des pistes d’abord glacées puis maintenant avec peu de neige, Marc-André Belcourt s’inquiète notamment pour la bonne marche de ses équipements. « Je dois toujours m’assurer qu’il n’y a rien de cassé. Je regarde ça tous les jours. »
Marc-André Belcourt explique aussi bien choisir ses itinéraires cet hiver, pour trouver les pistes les plus enneigées. « À moins d’avoir un bon montant de neige au cours des trois, quatre prochaines semaines, ça va sans douter impacter la longévité de la saison. »
Trop chaud pour le labyrinthe de glace
Clint Masse, avec sa femme Angie, possède et exploite A Maze In Corn à Saint-Adolphe, une zone d’activités qui présente notamment en hiver un labyrinthe fait de neige et de glace et un restaurant dans un décor glacé, The Den.
« Le temps doux est extrêmement difficile pour exploiter un labyrinthe de neige et un restaurant de neige. Nous gardons toutes nos sculptures de neige à l’intérieur des bâtiments de neige pour que la fonte ne les affecte pas, mais il est impossible de faire du travail de sculpture lorsque la neige fond », explique Clint Masse.
Conséquence de ce temps chaud, l’équipe d’A Maze In Corn a décidé de fermer The Den pour toute la saison. Quant au labyrinthe, il a, lui, ouvert et fermé à plusieurs reprises depuis le début de la saison. « Il a fait presque 20 degrés plus chaud que la normale, c’était impossible de se préparer à de telles conditions. Nous présentons habituellement le labyrinthe de neige jusqu’à la deuxième semaine de mars. Nous sommes prêts à le prolonger d’une semaine si le temps le permet. Mais jamais, au cours des six années où nous avons exploité le labyrinthe de neige, nous avons fermé une fin de semaine de janvier parce qu’il faisait trop chaud. »
Le froid fait partie de l’identité canadienne
Enfin, une autre attraction phare des hivers manitobains connaît des difficultés cette année : patiner sur le sentier Nestaweya River, construit sur les rivières Rouge et Assiniboine. Ce sont généralement 20 000 per- sonnes qui se rendent aux environs de La Fourche pour profiter de ce chemin. « Évidemment, une partie de ces gens se rendent aussi au marché intérieur. Donc il y a des conséquences économiques aussi. Tout le monde à La Fourche espère voir une chute des températures. Il faut que le gel soit fort et constant. Parce que si la rivière gèle et dégèle, c’est dangereux », détaille David Pancoe, gestionnaire des projets spéciaux à La Fourche.
De manière générale, Marc-André Belcourt s’inquiète aussi pour le futur. Si ces épisodes El Niño devaient revenir régulièrement et que les effets du changement climatique augmentaient, il existerait un risque de perdre une partie de l’identité canadienne et manitobaine. « Je pense toujours à la chanson de Gilles Vigneault dans laquelle il dit : Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver. Si l’on n’a pas d’hiver, on perd beaucoup de ce qu’on est en tant que Canadiens. »