Dans le but de protéger la Loi sur la laïcité de l’État contre toute contestation judiciaire, le ministre québécois responsable de la laïcité, Jean-François Roberge, a fait savoir qu’il proposerait de renouveler le recours à la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette clause interdit l’examen judiciaire d’une loi pendant cinq ans, après quoi le gouvernement doit la renouveler.

Le gouvernement du Québec avait pris les devants en invoquant cette clause en juin 2019 dès l’adoption de cette même Loi. Essentiellement, elle interdit aux employés du gouvernement considérés comme occupant des postes d’autorité, notamment les enseignants, les policiers et les juges, de porter des symboles religieux tels que le foulard musulman, la kippa juive, le turban sikh et les croix chrétiennes.

La Loi invoque des principes comme la séparation de l’État et des religions, et la neutralité religieuse de l’État. Mais, vue par plusieurs comme étant une forme de discrimination légalisée, elle a suscité de nombreux débats et protestations.

Le ministre Roberge justifie son action en invoquant le besoin de « défendre le modèle québécois ». D’après lui, la Loi 21 est « un acquis extrêmement important », puisqu’elle préserve une paix sociale et favorise le vivre-ensemble. Dans cette vision des choses, les droits collectifs l’emportent sur les droits individuels.

Ce qui explique peut-être pourquoi les porte-paroles autochtones du Québec ont été heureux la semaine dernière que la Cour suprême confirme la loi fédérale qui reconnaît leur droit de gérer leurs services à l’enfance et à la famille, au grand regret du gouvernement du Québec qui contestait cette loi. Comme quoi les droits collectifs des uns peuvent être en conflit avec les droits collectifs des autres.

La clause dérogatoire est le résultat d’un compromis politique finalisé en 1982 lorsque le Canada a reçu du Parlement britannique le droit d’amender sa propre Constitution et d’y insérer une Charte des droits et libertés. Plusieurs gouvernements provinciaux avaient craint que la Charte ne donne aux tribunaux et aux juges trop de pouvoir en limitant leur droit d’adopter toute loi qu’ils jugeraient appropriée. Une majorité d’entre eux a finalement accepté l’adoption de la Charte à condition qu’elle contienne une clause permettant à toute législature d’exempter toute loi de certains articles de la Charte.

Les partisans de la Charte ont voulu croire que le recours à la clause dérogatoire serait rare et que tout gouvernement qui l’invoquerait serait puni par un électorat avisé. Or il s’avère que c’est tout le contraire qui se produit lorsque le public approuve les actions d’un gouvernement qui ne respecte pas certains droits fondamentaux d’une minorité.

Invoquer la clause dérogatoire, c’est refuser de respecter certains droits individuels. C’est pourquoi la tension entre les droits collectifs et individuels continuera longtemps de mettre en lumière notre difficulté de nous assurer un vivre-ensemble harmonieux, c’est-à-dire. pleinement respectueux de tout un chacun.