Si Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, pensait régler le sort de l’Ukraine en quatre semaines, la persévérance ukrainienne a forgé l’admiration de plusieurs sur la scène internationale. Cependant, depuis quelques mois, une fracture semble se ressentir sur l’aide internationale apportée.

Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, aucun bilan officiel sur les civils tués n’a pu être dressé en l’absence d’un décompte indépendant. L’ONU avait estimé, en février 2023, ce chiffre à plus de 10 000. Cependant, l’organisation inter-nationale soulève que ce bilan est largement sous-estimé.

Du côté des pertes des soldats, Moscou et Kyiv ont décidé de garder leurs chiffres secrets.

Depuis deux ans, le climat sur la scène internationale a changé et des fractures entre différents pays quant à l’appui envers l’Ukraine se sont formées. Le professeur spécialiste en politique internationale à l’Université de Saint-Boniface, Thierry Lapointe détaille. « On voit beaucoup la guerre du point de vue du monde occidental. Déjà de ce côté-là, il y a plein de clivages à l’intérieur dont des fissures. Il y a des groupes de partis radicaux qui remettent en cause l’aide financière et l’aide militaire envoyée à l’Ukraine.

« Tout récemment aux États-Unis, il y a eu un blocage au Congrès américain sur l’aide financière et militaire pour l’Ukraine. En Europe aussi, il y a un paquet de partis d’extrême droite qui carburent au mécontentement aux conséquences relatives à la guerre en Ukraine : augmentation du prix de l’énergie, augmentation du prix des aliments. Pour certains ces aides financières pourraient aider leur population.

« Bien entendu, il y a quand même une partie de la population et des politiques qui considèrent que c’est un devoir de soutenir l’Ukraine parce qu’elle est victime de transgression du droit international. »

Changement de paradigme

Mais le professeur en politique internationale rappelle que le point de vue occidental n’est pas le seul. « Dans le monde non occidental, il y a également d’énormes fractures. »

Un clivage qui se ressent lors des rencontres des Nations Unies. Thierry Lapointe donne un exemple parlant. « Si on regarde les résolutions votées à l’assemblée des Nations Unies en décembre 2023, l’une portait sur la situation des droits de la personne en Ukraine, ce qui est frappant c’est le nombre d’abstentions et le nombre d’oppositions à cette résolution (78 pour, 15 contre et 79 abstentions). En comparaison, en mars 2022, il y a une résolution sur la guerre en Ukraine, il y avait beaucoup moins d’opposition (141 pour, 7 contre, 32 abstentions). »

Pour le professeur, ce clivage trouve son explication dans « une certaine interprétation du discours qui est tenu dans les exécutifs du monde occidental concernant, ce qui est perçu comme, un double standard.

Double standard

On condamne fermement une agression, on supporte militairement et financièrement un pays contre une agression. Mais en même temps, il semble ne pas y avoir le même appui financier ni la même logistique militaire pour ce qui se passe dans la bande à Gaza.

« Des acteurs comme la Chine et la Russie jouent donc sur ce double standard et des pays émergents du BRIC refusent de se ranger catégoriquement derrière les pays occidentaux. Et si la Russie est capable de soutenir son effort de guerre, de performer économiquement malgré les sanctions internationales, c’est grâce à cette fracture (voir encadré). Il y a un clivage dans les interprétations de ce conflit. On le présente comme quelque chose d’extraordinaire, un conflit qui porte sur une tentative d’annexion qui serait unique alors que pour les pays du Sud, c’est quelque chose qui est considéré comme une nor-malité depuis leur existence. Donc pour eux, il n’y a pas matière à se priver de rapports économiques ou d’appuis. »

Suite de la guerre

Si les Ukrainiens se maintiennent dans l’effort de guerre, ces clivages aussi bien dans le monde occidental que dans le monde non occidental pourraient coûter la perte de territoires ukrainiens. Thierry Lapointe explique. « Il y a un patriotisme chez les Ukrainiens de maintenir leur souveraineté. L’Ukraine avait un certain niveau de préparation suite à l’agression en Crimée.

« Mais aujourd’hui, si l’Ukraine est incapable d’avoir accès aux aides qui lui avaient été promises, notamment par les États-Unis, ça regarde extrêmement mal. L’UE a voté un budget de 50 milliards € grâce à la levée de véto de la Hongrie. Mais les pays européens n’ont pas la capacité de produire assez rapidement l’équipement militaire nécessaire. Les Ukrainiens ont besoin de munitions maintenant. Et l’Ukraine souffre actuellement de ce manque de munitions. Et Vladimir Poutine s’est préparé pour une guerre à finir. Il n’acceptera rien d’autre. Toutes les tentatives de négociation recevront une fin de non-recevoir. »

Perception dans les médias

Deux ans de guerre c’est aussi deux ans de couverture journalistique, de ce côté, il semble que l’attention des citoyens du monde ait diminué. Pour Thierry Lapointe, professeur spécialiste en politique internationale à l’Université de Saint-Boniface, il est évident qu’« envoyer des journalistes sur le terrain, c’est coûteux et dangereux. Les médias canadiens traversent une crise alors oui il y a des limites à ce qui peut être fait. Et puis, il y a un nouveau conflit en Israël ».

Thierry Lapointe soulève aussi qu’il est difficile de garder les yeux rivés vers une guerre « loin de nous ». « De plus, la réalité est qu’il y a d’autres dynamiques qui sont en jeu dans la vie des gens : l’inflation, payer le loyer. Mais pourtant, ce qui se passe en Ukraine a des conséquences partout dans le monde.

« Je ne sais pas s’il y a une fatigue médiatique. Mais il y a d’autres crises dans le monde qui amènent le regard des gens ailleurs. Et puis c’est étourdissant d’avoir autant de nouvelles sur le nombre de morts, le nombre d’hôpitaux bombardés, etc. Il y a sûrement une fatigue des citoyens d’être autant informés. »

Transformation profonde de l’économie russe

Si Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, avait déclaré qu’il réglerait le « conflit » en quelques semaines, l’Ukraine lui a donné tort. Cependant, depuis quelques mois, l’Ukraine semble souffrir de la longueur de cette guerre. Thierry Lapointe, professeur spécialiste en politique internationale à l’Université de Saint-Boniface, explique. « Au début de cette guerre, l’armée russe était mal préparée, les soldats étaient mal entraînés. Cependant, depuis quelques mois, les Russes se sont ressaisis, la structure économique du pays a complètement été transformée pour soutenir l’effort de guerre. La guerre représente 35 % du budget du pays. La capacité des industries à fournir des matériaux a augmenté de manière significative. »

D’ailleurs, il semblerait que ce changement profond profite à l’économie. « D’après le Fonds monétaire international, l’économie russe performe mieux que tous les états du G7. Malgré le régime de sanctions internationales, la Russie a un taux de croissance de 3,5 %, les États-Unis sont juste en dessous avec 2,5 %. L’état russe a procédé à quelques changements qui l’éloigne de son traditionnel conservatisme économique. Il y a beaucoup de dépenses pour attirer de nouveaux travailleurs. C’est une économie de guerre. Honnêtement, même si la guerre était mal planifiée, aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

« L’économie russe repose sur l’exportation du gaz et du pétrole. L’économie mondiale dépend encore de ces ressources alors le régime de sanctions n’a vraiment pas eu les effets escomptés. Tant que la Russie arrive à soutenir son économie de guerre grâce à ses revenus d’exportation, il n’y a rien qui va l’empêcher de le faire. Mais si la Russie commence à dépendre totalement de la guerre, jusqu’où ça va finir cette affaire? À terme ce n’est pas soutenable, on ne peut pas s’endetter indéfiniment. »