Dans le cadre d’un projet quinquennal en lien avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), le Réseau en immigration francophone (RIF) et Santé en français ont offert une formation sur les traumas et ses conséquences lors d’une immigration. Cette formation a été donnée au personnel du Centre de santé de Saint-Boniface et des membres de la Division scolaire franco-manitobaine.

L’objectif visé est de continuer le travail d’intégration des nouveaux arrivants francophones au Manitoba.

Santé en français, a fait appel à son bagage professionnel précédent, la mobilisation de connaissances (1). « Santé en français déploie un projet d’IRCC depuis cinq ans pour s’outiller afin de fournir un accueil en santé aux personnes immigrantes francophones. Nous regar- dons de quelle manière on peut outiller les personnes des services de santé de soins primaires pour être sensibilisées sur ces enjeux de deuil et traumatisme.

« J’ai donc lancé un appel vers d’anciennes collaborations et ça a mordu! Je suis ensuite entré en contact avec Dre Garine Papazian-Zohrabian. »

Une histoire personnelle

La Dre Garine Papazian- Zohrabian porte plusieurs casquettes. Cette dernière est, entre autres, membre de l’Ordre des psychologues du Québec et est spécialisée en traumatismes et deuils d’un point de vue de l’immigration.

Pour comprendre sa spécialisation, la Dre Garine Papazian-Zohrabian aborde son passé. « Je suis d’origine arménienne, en tant qu’Arménienne, j’ai toujours porté en moi le souvenir du génocide. Mes grands- parents sont des rescapés du génocide, ils se sont ensuite installés au Liban. Mes parents sont nés au Liban, je suis née au Liban. En tant que Libanaise, j’ai vécu la guerre du Liban, j’avais six ans quand elle a commencé et 21 quand elle s’est terminée. Toute mon enfance a été dans un contexte de guerre. »

C’est son bagage personnel qui l’a poussée à mener des études en psychologie et à mener un travail de terrains auprès des enfants. « Je voulais faire du sens avec tout le non-sens dans lequel j’ai grandi. J’ai fait une thèse de doctorat sur les deuils et les traumatismes psychiques de guerre. Pendant deux ans, j’ai travaillé avec Médecins Sans Frontières (MSF) en Arménie, dans le Haut-Karabakh, dans le centre de réhabilitation. En parallèle, j’ai mené mes recherches doctorales sur les deuils et les traumas de guerre et leurs conséquences sur le développement des enfants.

« J’ai poursuivi ce travail en retournant au Liban. Il y avait beaucoup d’instabilité politique et économique. J’ai fait beaucoup de travail dans les écoles avec des jeunes et des jeunes victimes de guerre. »

Un manque

Ce contexte instable l’a aussi amenée à immigrer au Canada où son domaine de compétences a vite trouvé preneur auprès de l’Université de Montréal. Et c’est là qu’elle a remarqué un manque dans l’intégration des nouveaux arrivants.

« J’ai commencé un travail de terrain avec des élèves et je me suis vite aperçue que personne ne parle de deuil et de traumatisme alors que, pour moi, c’est l’éléphant dans la pièce. Je le sais parce que j’étais de l’autre côté, même si j’ai fait une immigration économique, j’ai quitté un contexte de violence. Et je ne suis pas la seule, je voyais donc qu’il y avait des traumatismes prémigratoires, péri et post.

« Sur le terrain, j’ai remarqué que les milieux scolaires parlaient de difficultés d’apprentissage sans jamais prendre la lentille des deuils et des traumatismes. J’ai donc obtenu plusieurs finance- ments pour faire de la recherche dans ce sens. »

Jérémie Roberge a saisi l’occasion, imaginant que cette réalité était peut- être aussi présente dans la francophonie manitobaine. « Ce genre de formation nous permet d’être proactifs dans notre francophonie. Il y a de l’immigration au Manitoba alors il faut être capable de comprendre la situation de chacun. Et le Centre de santé de Saint- Boniface était très intéressé par une telle formation et l’a inscrit dans l’une de ses quatre journées de déve- loppement professionnel. Nous en avons profité pour présenter la formation à la Division scolaire franco-manitobaine qui s’est montrée intéressée également. »

Quelques méfaits

Il faut dire que cette formation est assez complète et passe au travers de plusieurs thématiques : statut d’immigration, santé mentale quand il y a une immigration à cause d’un génocide, d’une guerre ou de violences, conséquences sur la parentalité. Et il y a un point que la Dre Garine Papazian-Zohrabian tient absolument à aborder avec les professionnels de la santé et avec les personnes qui travaillent avec les enfants.

« Souvent, dans le monde de la santé, on ne se base que sur l’approche psychiatrique pour évaluer des traumatismes. Donc il y a beaucoup de personnes avec des traumas qui passent au travers des mailles du filet. Je donne donc des pistes de réflexion avec de nouvelles approches : une approche dynamique, une approche systémique, une approche transculturelle, une approche développementale. »

Parce qu’au cours de sa longue pratique, la Dre Garine Papazian-Zohrabian a pu observer les méfaits dus au manque de lentilles dans l’intégration des nouveaux arrivants. « Si c’est aussi important d’avoir cette lentille avec les traumas et les deuils, parce qu’un enfant, qui en a subi, peut recevoir un mauvais diagnostic.

« C’est-à-dire que certains peuvent être diagnostiqués avec un trouble du déficit de l’attention, ou avec un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, ou encore avec un trouble du spectre de l’autisme, il y a même des cas de syndrome de Gilles de la Tourette. Donc si ceux qui font l’évaluation sont en mesure d’avoir cette capacité de diagnostic différentiel, on peut mieux orienter l’enfant dans son parcours de guérison. Je propose donc d’utiliser plusieurs lentilles pour voir d’autres réalités qu’on ne voit pas forcément avec les lentilles qu’on a actuellement. »

(1) Voir l’édition de La Liberté du 11 au 17 octobre 2023.