Quelques années plus tard, des études, venant de membres de l’Université de Saint-Boniface (USB), se sont intéressées à l’impact de la pandémie sur le travail et la santé des directions d’établissements scolaires.

Si des études ont été faites pour montrer l’impact de la pandémie sur les élèves, les parents ou encore les enseignants, moins de données ont été mises de l’avant pour évoquer les directions d’école. « Qui s’occupe de ceux et celles qui s’occupent des autres? », résume Jules Rocque, chercheur à l’USB, à propos de son envie de travailler sur ce sujet.

Le professeur titulaire de la Faculté d’éducation a eu l’aide de Cynthia Côté, de l’Université du Manitoba, en tant qu’assistante de recherche. Les deux universitaires ont travaillé sur l’incidence de la COVID-19 sur la gestion et le leadership des équipes de direction d’établissements scolaires du Conseil scolaire Centre-Nord (CSCN) en Alberta et de la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM). « Voir l’expérience des directions pendant cette période nous donne une perspective différente sachant que leur travail en temps normal est déjà prenant et stressant. Ça l’a été encore plus pendant la pandémie. Il y a une expression anglaise qui dit Build the plane as you fly it (construire l’avion au fur et à mesure qu’on le pilote, en français), ç’a vraiment été ça pour les directeurs et directrices pendant la COVID », explique Cynthia Côté, qui a étudié la psychologie.

« Ce que je retiens le plus, c’est que les participants avaient tant besoin de nous parler et de faire connaître leurs défis. La DSFM notamment a retenu la nécessité d’appuyer les gens qui occupent ces postes-là. Car à un moment donné le réservoir de ces personnes se vide si l’on ne s’en occupe pas », ajoute Jules Rocque.

« Être un leader dans cet environnement est intéressant, car ils ont dû prendre soin de leur personnel, mais aussi d’eux mêmes. Aussi, les répondants des écoles de petite et de moyenne taille ont également affirmé s’être sentis écoutés et appuyés par la communauté en général par rapport aux plus grandes écoles. Avoir ce sens de la communauté a été important pour la santé mentale. »

Cynthia Côté

Une hausse des fonctions de gestion

63 participants de l’Alberta et du Manitoba, des directions et des directions adjointes, ont donc répondu aux questions de Jules Rocque et Cynthia Côté. Parmi les faits saillants notables de leur étude, on remarque notamment la hausse importante de certaines fonctions de gestion pendant cette période.

En tête : la préservation du bien-être du personnel qui a augmenté de 95 % selon les répondants. De même qu’encourager/motiver les enseignants qui a augmenté à hauteur de 91 %. La préparation de notes et de courriels s’est accentuée de 92 % pendant cette période. « Ces résultats sont certainement marquants. Être un leader dans cet environnement est intéressant, car ils ont dû prendre soin de leur personnel, mais aussi d’eux-mêmes. Aussi, les répondants des écoles de petite et de moyenne taille ont également affirmé s’être sentis écoutés et appuyés par la communauté en général par rapport aux plus grandes écoles. Avoir ce sens de la communauté a été important pour la santé mentale », a remarqué Cynthia Côté.

À noter aussi que l’étude montre un plus haut pourcentage de répondants à la DSFM (75 %) qu’au CSCN (29 %) qui ne se sont sentis ni écoutés ni appuyés par le ministère de l’Éducation pendant la crise sanitaire. « C’est certainement quelque chose d’important à savoir pour les politiciens. En revanche, les répondants, aussi au Manitoba, disent avoir reçu du soutien de la haute administration, mais aussi de leurs collègues, leurs familles et amis. »

La résilience au plus fort de la crise

Eric Miron, pour son mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université de Manitoba et qui avait d’ailleurs Jules Rocque comme directeur de mémoire, a, pendant trois ans, travaillé sur un sujet relativement similaire. Il s’est lui concentré sur un groupe de dix directions d’une division scolaire manitobaine. Celui qui est aujourd’hui directeur par intérim de la Sherwood School de la division scolaire River East Transcona évoque lui la résilience des directions pendant la pandémie. « Les gens étaient pas mal résilients, mais s’ils ne l’ont pas tous réalisé. En prenant le temps d’y penser, ils voient qu’ils ont survécu et qu’ils ont beaucoup appris. Ils ont eu du succès même s’ils ne se sont pas sentis particulièrement efficaces comme leaders pendant la pandémie. En particulier, il y a le travail de management qui est venu comme une surcharge. Certains ont donc senti avoir fait preuve de leadership, d’autres pas du tout. »

À travers les 150 pages de son mémoire, principalement des témoignages, Eric Miron remarque que les directions ont toujours pensé au bien-être des élèves. « Ça a été difficile et ils ont tous noté avoir eu des moments où la santé mentale n’était pas aussi bonne que ce qu’ils auraient voulu. Mais ils ont été capables de passer au travers en essayant autant que possible de mettre les élèves au cœur des décisions même si parfois il y avait d’autres pressions qui poussaient la prise de décision. »

Eric Miron
Eric Miron, directeur par intérim de la Sherwood School. (photo : Marta Guerrero)

Comme Jules Rocque et Cynthia Côté, Eric Miron, dans son étude, a souligné l’augmentation dans les tâches de gestion. Il met aussi de l’avant le retour en classe qui n’a pas été synonyme de retour à la normale. « Il y avait comme une résistance. Pendant près de deux ans, on avait vécu sans parascolaire, sans club. Beaucoup de collègues ont eu du mal à retrouver des bénévoles. Je sens encore qu’on ne s’est pas complètement remis. Il y a encore des éléments de stress qui sont là et pas juste professionnellement. »

Cette période de retour a été un autre grand défi selon Eric Miron. L’expert en éducation pense d’ailleurs qu’il reste encore beaucoup de thèmes à étudier à explorer quand il est question de la COVID-19 et l’éducation. « La santé mentale, par exemple. Pour certains, ça se manifeste rapidement, mais pour d’autres ça peut ressortir des années plus tard. Ça dépend des mécanismes utilisés pour gérer le stress et l’anxiété. Aussi, d’un point de vue académique, il y a eu des manques. Les parents ont fait de leur mieux, mais rien ne remplace un enseignant dans une salle de classe avec des élèves en personne. »

Malgré tout, et c’est mentionné dans son rapport, Eric Miron démontre que les directions d’école, grâce aux leçons apprises durant la crise, se sentent de meilleurs professionnels après la pandémie.