Le manque de psychologues est inquiétant lorsque l’on regarde la multitude de domaines et de spécialités qui composent les métiers de la santé mentale. « Il y a des problématiques qui exigent vraiment une expertise, comme les stress post-traumatiques par exemple ou les troubles anxieux », explique Manon Talbot, psychologue associée. 

La santé mentale, au même titre que la santé physique, compte une multitude d’affections différentes. En toute logique, les champs de spécialisation aussi sont nombreux. La neuropsychologie, la psychiatrie, la gérontopsychologie ou encore la pédopsychiatrie. 

Trouver les bons spécialistes

Et puisqu’à la base le bassin de psychologues est assez réduit, il devient d’autant plus compliqué de trouver les bons spécialistes, comme l’indique Zoé Therrien, psychologue au Centre de santé Saint-Boniface. « Lorsque l’on regarde au niveau des populations plus spécifiques, comme les enfants ou les personnes âgées, c’est encore plus difficile. C’est un défi supplémentaire, car ce sont des spécialités moins répandues. » 

Un exemple criant est celui de nos aînés. Zoé Therrien argue que l’accès aux services de personnes spécialisées est particulièrement important en gériatrie. « Les personnes âgées, quand elles ont des symptômes anxieux déprimés, ça peut donner lieu à des symptômes physiques. Il peut alors être difficile de déterminer si cela vient d’une maladie physique ou d’un problème de santé mentale. On a souvent l’impression que c’est normal de se sentir plus déprimé lorsque l’on est plus âgé, mais ce n’est pas le cas. Donc c’est important d’avoir quelqu’un de spécialisé capable de démêler tout ça. » 

Et s’il s’agit d’obtenir ces services en langue française, ça se complique davantage. 

Le docteur Harold Wallbridge, secrétaire général de la Psychological Association of Manitoba indique que sur les 260 psychologues manitobains que compte l’association, « seule une poignée de personnes travaillent en français. Probablement moins de 10. Certaines personnes peuvent parler français, mais seulement quelques-unes se sentent à l’aise pour travailler dans cette langue. C’est un problème ». 

Un besoin francophone

Et c’est un problème à bien des égards comme le font remarquer Daniel Beaudette, directeur général du Centre Renaissance, et la psychologue Manon Talbot. 

Daniel Beaudette a travaillé en tant que psychologue dans le système pénitentiaire pendant 25 ans. « Il y a des besoins francophones en milieu carcéral. Les francophones sont placés dans des prisons anglophones et, un peu comme les militaires, ils se retrouvent dépourvus. » 

Manon Talbot, qui compte des militaires francophones parmi ses patients, corrobore. Elle fait remarquer que d’autres populations sont en recherche de services en français. « Il y a des enfants au Manitoba qui apprennent l’anglais sur le tard et à qui on offre uniquement des services en anglais. Je trouve que ça a un impact au niveau de la santé publique, dans le sens où c’est une question de justice sociale. »

Les listes d’attente et le manque de psychologues ne se limitent pas seulement à la ville de Winnipeg. Manon Talbot se rend tous les jeudis à la clinique médicale de Sainte-Anne. Au rural, les problématiques sont similaires, voire pires. « Il y a beaucoup de francophones qui ont été sans aucun service depuis toujours. Je vois des problématiques psychologiques transgénérationnelles. Je sais que je fais une différence, pour eux, pour leur famille et pour les générations futures. » 

Se pose aussi la question des migrants. Sur ce point, une fois de plus, les psychologues tombent d’accord. Le directeur du Centre Renaissance fait valoir que « certains nouveaux arrivants s’installent au Manitoba en ayant vécu des traumatismes dans leurs pays d’origine ». Dans ces cas-là, qu’ils soient francophones ou pas, le problème est le même. « Il y a des interprètes qui viennent s’asseoir avec eux pour traduire les questions et les réponses. » Et cela n’est pas nécessairement une solution très viable. 

Manon Talbot explique : « Les gens qui ont vécu des traumatismes ont déjà beaucoup de mal à en parler. Là, on ajoute une troisième personne et le biais d’un traducteur. » 

L’importance de parler sa langue 

Le problème avec l’emploi d’un traducteur est double. D’abord, les mots employés par le patient pour décrire ses émotions ne seront pas ceux que le/la psychologue entendra, et dans un traitement psychologique, le choix des mots est essentiel pour bien identifier la problématique. Mais aussi, la présence d’une tierce personne peut gêner la connexion entre le patient et son psychologue. Bien sûr, si la solution n’est pas idéale, tout le monde s’accorde pour dire que c’est toujours mieux que rien. Cependant, Daniel Beaudette souligne que la traduction peut tout de même aboutir sur un diagnostic faussé. 

Finalement, le mieux reste de pouvoir s’exprimer dans sa langue natale. Zoé Therrien illustre cela avec une anecdote personnelle, mais qui peut s’appliquer plus largement. « Souvent, ce que je vois, c’est que quand je parle de choses qui sont plus stressantes, plus personnelles, j’ai tendance à aller vers ma langue maternelle. Je trouve ça plus difficile de m’exprimer en anglais. Ça rassure, on sent qu’on peut faire une meilleure connexion avec son interlocuteur. On ne cherche pas ses mots. » 

Ce point, une fois encore, fait consensus parmi les psychologues interrogés. « L’utilisation de sa langue maternelle est essentielle quand il faut parler de sentiments ou d’émotions personnels, explique Manon Talbot. Quand on veut s’exprimer spontanément, puis surtout quand on vit des choses difficiles. Que ce soit au niveau du stress, de l’anxiété ou au niveau de la tristesse. Ne pas s’enfarger en essayant de traduire ce que l’on est en train de penser c’est vraiment très important. » 

Le manque de services en français peut aussi poser un problème en amont et refroidir certaines personnes à l’idée même d’aller chercher de l’aide.

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