Approvisionnement en eau, traitement des eaux usées, construction de routes ou encore de logements : les besoins sont tels qu’ils freinent leur croissance. Le point sur la situation avec Kam Blight, président de l’Association of Manitoba Municipalities (AMM).

« Le Manitoba abrite certaines des municipalités et communautés qui connaissent la croissance la plus rapide au Canada, comme Neepawa, Niverville et La Broquerie (1), rappelle le président de l’AMM et préfet de la Municipalité rurale de Portage-la-Prairie, Kam Blight.

« On a d’autres communautés qui voudraient aussi se développer davantage, mais qui sont hélas gênées par un manque d’infrastructures, notamment en matière d’eau et de traitement des eaux usées. Ces limites mettent vraiment un frein à leur croissance résidentielle et économique. »

À travers le Manitoba, des municipalités rurales, comme celle de Saint-Laurent par exemple, ne peuvent pas accueillir des nouvelles familles et entreprises faute de pouvoir construire car leurs lagunes ont atteint leur capacité maximale.

Kam Blight le déplore. « Devoir refuser des nouveaux résidents, c’est une chose. Mais ces municipalités rurales perdent également beaucoup d’opportunités d’investissements. Elles doivent refuser des industries, car elles n’ont pas la capacité nécessaire au niveau des infrastructures pour les accueillir.

« Nous estimons qu’à l’échelle du Manitoba, il y a plus d’un milliard $ d’investissements potentiels pour des projets qui seraient prêts à démarrer. »

Il précise que les municipalités rurales sont responsables de plus de 60 % de l’infrastructure publique au Canada. « Pourtant nous recevons moins de dix cents de chaque dollar d’impôt des contribuables. Il y a donc une énorme disparité entre les responsabilités que nous devons assumer et les fonds qui nous sont versés pour nous en occuper. »

Un défi pancanadien qui ne peut que nuire aux ambitions du gouvernement fédéral en matière d’immigration, poursuit Kam Blight. « Pour chaque nouvelle porte de logement construite, il faut compter environ 150 000 $ d’infrastructure de base à financer. Donc si le Fédéral n’intervient pas pour soutenir les municipalités avec un financement approprié, on ne peut pas construire de nouveaux logements. »

Infrastructures obsolètes

Un problème d’autant plus sérieux que des municipalités rurales doivent non seulement ajouter des nouvelles infrastructures, mais aussi rénover celles en place.

« Nos infrastructures n’ont pas été conçues pour gérer des flux de trafic aussi élevés que ceux que nous connaissons aujourd’hui. De plus, une grande partie a été installée dans les années 1940-1950. Or les réglementations fédérales et provinciales ont changé. Les conduites d’eau, par exemple, ne sont souvent plus aux normes. »

En matière de renouvellement et d’ajout d’infrastructures,  le président de l’AMM identifie un troisième défi financier pour les municipalités : l’inflation, combinée avec la lenteur administrative.

« Le gouvernement fédéral a mis sur pied le Programme d’infrastructures Investir dans le Canada. De nombreuses municipalités ont soumis leurs demandes en 2018 ou 2019. Mais les fonds ne leur ont été versés qu’en 2021 ou 2022. Avec l’inflation, les montants estimés en 2018-2019 étaient devenus bien inférieurs aux coûts réels de construction en 2021-2022. Or le Fédéral n’est pas prêt à financier cette différence. Les municipalités sont censées la prendre en charge.

« C’est un réel problème, d’autant plus qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, de nouveau programme fédéral de financement d’infrastructures disponible pour les municipalités. Un ministre fédéral a même déclaré qu’Ottawa n’investirait pas dans de futurs projets de construction de nouvelles routes (2). Cela montre bien à quel point Ottawa n’est pas disposé à aider les municipalités à s’en sortir. C’est extrêmement frustrant. On ne peut pas faire de miracles. »

Au pied du mur, nombre de municipalités rurales sont donc dans l’obligation de faire des choix difficiles : augmenter les taxes, réduire les services ou remettre les projets à plus tard.  «  C’est un véritable exercice de jonglage. D’autant plus que le municipal est le seul palier de gouvernement qui ne peut pas enregistrer de déficit. Nous devons équilibrer nos comptes chaque année.

«  Certaines de nos municipalités membres se sont tournées vers la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) pour obtenir un prêt. Mais là encore, c’est sur elles que pèse la charge. La Province travaille aussi avec les municipalités, mais rarement sur des projets de grande envergure. »

Pour  les municipalités, le budget fédéral dévoilé le 16 avril 2024 prévoit à l’échelle du Canada une enveloppe d’un milliard $ liée aux objectifs en matière de logement.

Le président de l’AMM met volontiers cette enveloppe budgétaire en perspective  : « Pour être bien clair, le Manitoba à lui seul a plus d’un milliard $ de projets prêts à démarrer pour construire des nouveaux logements dont nous avons besoin. Et c’est pareil dans le reste du pays. C’est dire si nos municipalités au Manitoba n’attendent pas grand-chose de ces fonds. »

(1) Entre 2016 et 2021, Niverville a connu une croissance de + 29 % (1er rang du Manitoba et 5e rang du Canada), West St. Paul de + 24,5 %, Neepawa de + 23,3 %, et La Broquerie de + 10,7 %. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-x/2021001/98-200-x2021001-fra.cfm.

(2) Il s’agit du ministre de l’Environnement Steven Guilbeault, qui a déclaré le 12 février 2024 qu’il n’y aurait plus d’argent fédéral destiné à agrandir le réseau routier, qui était «  parfaitement adéquat pour répondre aux besoins ». Le ministre a par la suite précisé que ce sont les «  grands  » projets routiers qu’Ottawa ne financerait pas. Pour plus d’information : https://www.cbc.ca/news/politics/guilbeault-no-new-roads-1.7114867.