avec des informations de Chelsea Howgate
Un projet culturel fort, aux objectifs multiples dans une ère de revitalisation des langues autochtones.
Le 25 mai 1977, le monde entendait parler de la Force pour la première fois. Les respirations sinistres et saccadées de Dark Vador faisaient frissonner d’effroi les petits et les grands et Luke Skywalker devenait le symbole de l’espoir pour toute une génération.
La guerre des étoiles : un nouvel espoir sortait dans les salles obscures et chamboulait toute l’industrie pour devenir une véritable référence en matière d’innovation et d’effets spéciaux.
Le 8 août 2024, dans la salle du Centenaire à Winnipeg, la version Anishinaabemowin (Ojibwé) du film était diffusée pour la première fois.
Le projet Star Wars (Anangong Miigaading), A New Hope est le fruit d’une collaboration entre Lucasfilm, le conseil tribal Dakota Ojibway, l’Université du Manitoba ainsi que Aboriginal Peoples Television Network (APTN).
Le fruit d’une collaboration certes. Mais principalement d’un important travail de traduction, puisque le film a été entièrement doublé en langue ojibwée.
Cary Miller, cheffe de projet et professeure agrégée en études autochtones à l’Université du Manitoba a pris part au travail de traduction. « Il nous fallait rassembler les différents dialectes. Par exemple, lorsque nous devions créer une nouvelle terminologie pour les mots tels que sabre laser ou croiseurs interstellaires, il fallait s’assurer que la traduction serait comprise et reconnaissable dans tous les dialectes. » C’est autour de la table à manger de la cheffe de projet que le travail de traduction s’est principalement déroulé.
Bien sûr, cela ne s’est pas fait sans difficulté. D’abord, certaines des phrases sont devenues plus longues ou plus courtes que dans le texte original.
Par souci de synchronisation labiale, il a fallu composer et recomposer certaines des traductions pour respecter une certaine longueur. Au niveau du contenu, certains défis se sont aussi manifestés. Cary Miller remarque que « l’un des principaux décalages était l’humour. Il y a beaucoup de sarcasme dans La guerre des étoiles. Or, le sarcasme ne se traduit pas vraiment en ojibwé, en tout cas pas de la même manière. »
En gardant à cœur la volonté de rester au plus près du texte original, « il a donc fallu déterminer où nous pouvions encore faire preuve d’humour et où il fallait ajuster la traduction pour transmettre correctement ».
Travail d’acteur
Coller le plus possible à l’esprit du texte original, c’est toute la difficulté du travail de traduction. Pour les acteurs de doublage, qui se sont attaqués à des personnages, aujourd’hui, quasiment légendaires, le défi était également de taille.
Ajuawak Kapashesit est un acteur, scénariste, dramaturge et réalisateur d’origine ojibwée, crie et juive. Il est également linguiste de formation et se consacre à la revitalisation et à la documentation des langues.
Dans le cadre du projet Star Wars (Anangong Miigaading), A New Hope l’acteur incarne la voix du contrebandier le plus malfamé de la galaxie : Han Solo. « Il fallait tenir compte du fait que l’ojibwé ne traduit pas toujours exactement la même pensée qu’en anglais.
« Il faut trouver les légères variations. Même si l’ojibwé transmet les mêmes choses en grande partie, il met parfois l’accent sur un point différent.
« Dans le processus, je me disais : je comprends que Han Solo dit ceci. Mais Han Solo en ojibwé dit plutôt cela. J’espère que nous avons trouvé un moyen d’égaler ce que Harrison Ford faisait avec le personnage. »
Theresa Eischen est éducatrice et comédienne/artiste vocale. Elle est d’origine anishinabée, irlandaise et luxembourgeoise et est membre de la Première Nation de Little Grand Rapids au Manitoba. Elle est la voix de l’intrépide cheffe de file de la rébellion Leia Organa. Elle a aussi dû faire face à quelques obstacles.
« Pour jouer la princesse, j’ai étudié la façon dont Carrie Fisher donnait la réplique.
« J’ai eu un peu de mal au début, parce qu’on parle naturellement dans son propre accent. Il faut abandonner ce naturel et incorporer la façon dont Carrie Fisher disait son texte. Il fallait que ça sonne comme elle.
« Même s’il parle une autre langue, on veut que le personnage ressemble le plus possible à celui d’origine. »
Faire vivre la langue
Dennis Chartrand est Anishinaabe et originaire de Duck Bay au Manitoba. Il est aussi dorénavant la voix de Dark Vador.
Pour le doubleur, il existe un lien étroit entre l’œuvre de Georges Lucas et les Peuples autochtones. « Chewbacca, je sais que c’est un sasquatch donc ce personnage honore l’être sasquatch. Et je suis sûr que Yoda est un Aîné ojibwé. Pour nous, anishinabés, l’intérêt du projet réside dans le fait qu’il est synonyme de la situation difficile dans laquelle se trouvent les Peuples autochtones », alors qu’il mime des guillemets avec ses doigts, Dennis Chartrand poursuit : « Nous essayons de faire comprendre à l’Empire l’importance de notre terre, de l’eau, des animaux et de notre médecine. Ces éléments sont cruciaux pour nous, c’est pourquoi les rebelles m’attirent.
« Ce qui est beau, c’est aussi la façon dont les rebelles vivaient en harmonie avec la nature avant que l’Empire n’essaie de prendre le dessus. J’aime à penser que nos ancêtres ont vécu ainsi à un moment donné. »
Le choix de s’attaquer à une superproduction mythique du cinéma a également vocation à toucher la jeune génération. C’est ce qu’explique Cary Miller. « Nous voulons vraiment inspirer les enfants avec la langue. Nous sommes très heureux de pouvoir leur présenter ce projet dans leur langue.
« Il est vraiment important que nous continuions à avoir plus de films produits dans notre langue. Mais aussi à traduire des films populaires. Nous devons créer la possibilité pour les jeunes de s’engager dans la pratique de la langue, à la fois à l’école, dans la communauté avec nos Aînés et à la maison, en se relaxant avec notre famille devant la télévision. »
Au-delà de servir à la revitalisation de la langue ojibwée, l’œuvre revêt également une importance culturelle. À travers les idées qu’elle véhicule, la fiction et la réalité autochtone se rencontrent finalement à mi-chemin entre la science-fiction et la tradition. Cary Miller souligne que « certaines choses résonnent avec les expériences et les traditions autochtones. Par exemple, la façon dont Yoda parle de la force, qui nous entoure et nous lie à la nature.
« C’est une très belle chose que de pouvoir créer un pont entre quelque chose que les enfants veulent aborder et certains des concepts qu’ils peuvent apprendre auprès de leurs Aînés sur le territoire.
« Le fait de voir ces concepts reflétés dans un grand film encouragera nos jeunes, je pense, à accepter et reconnaître ces idées. »
Le film devrait être disponible sur la plateforme Disney + ainsi que sur APTN, au moment d’écrire ces lignes aucune date n’a été précisée.
Il faudra donc faire preuve de patience et en attendant, gi-ga-miinigoowiz Mamaandaawiziwin (que la force soit avec vous).
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