Brenda Gunn, professeure à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba et Métisse de la Rivière-Rouge, partage ses observations.
En 2010, le Canada adoptait la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007.
Pourtant ce n’est que 11 ans plus tard, le 21 juin 2021, que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui pose les jalons pour mettre en œuvre la Déclaration, entrait en vigueur.
« Depuis l’entrée en vigueur de cette loi fédérale, on voit les choses bouger un peu plus à travers le Canada, se réjouit Brenda Gunn. Mais il y a encore des défis à relever. Le Canada s’est plutôt concentré sur les domaines et les changements les plus faciles à mettre en œuvre. »
Plan d’actions
Elle constate en particulier une volonté plus prononcée du gouvernement fédéral à avoir « plus de conversations avec les peuples autochtones.
« Mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour aborder certains domaines qui demandent des changements plus profonds, comme la question du respect et de la protection des droits des peuples autochtones sur les terres, les territoires et les ressources naturelles. »
S’il était à prévoir que le processus de mise en œuvre de la Déclaration prendrait du temps, Brenda Gunn déplore son début trop tardif. « Certes, le travail que le Canada accomplit aujourd’hui par le biais de la législation fédérale et du Plan d’action 2023-2028 suscite beaucoup d’attention positive, et ces mesures sont vraiment importantes, mais nous sommes très en retard.
« Le travail ne fait que commencer. Le Canada a pris beaucoup trop de temps à se mettre en action. Il est urgent de mettre en œuvre la Déclaration dans tous les domaines, notamment le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. »
Ce principe reconnait le droit des peuples autochtones d’être consultés avant tout projet de développement sur leur territoire, en vue de donner ou non leur consentement.
La professeure Métisse souligne en outre que les politiques dont dispose le Canada pour la mettre en œuvre « ne sont pas les plus solides au monde ».
Le rôle des Provinces
Un autre défi du Canada, c’est qu’au niveau des terres, territoires et ressources, les compétences fédérales et provinciales se chevauchent. Par exemple, les terres réservées aux Autochtones relèvent du droit fédéral, mais les forêts et les ressources naturelles relèvent du droit provincial.
« Nous ne pourrons pas avancer dans la mise en œuvre de la Déclaration sans la participation des Provinces, affirme Brenda Gunn. La mise en œuvre des droits des peuples autochtones sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources passe nécessairement par l’implication des Provinces puisque la Constitution confère la propriété aux Provinces, et ce n’est pas le seul domaine concerné. »
En matière d’engagement, les Provinces et Territoires ne sont pas toutes au même niveau. La professeure développe : « La Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest sont probablement ceux qui déploient les efforts les plus concertés et publics pour mettre en œuvre la Déclaration. Ils ont tous les deux adopté des lois.
« Dans l’est, en Nouvelle-Écosse par exemple, les droits des Mi’kmaq ont été reconnus de façon très solide dans certains domaines, notamment en matière d’éducation et de droits linguistiques. Mais il y a encore beaucoup de tensions, notamment autour des droits de pêche. Et en Ontario, la Loi sur les mines révisée en 2009 et les travaux connexes font l’objet de nombreuses contestations. »
Au Manitoba
« Le Manitoba a adopté la Loi sur la Réconciliation en 2016 qui soutient et prévoit la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Mais je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de travail accompli depuis, en particulier parce que l’ancien Premier ministre du Manitoba, Brian Pallister, s’était très clairement exprimé contre la Déclaration et les tentatives fédérales d’adoption d’une loi, rappelle Brenda Gunn.
« Aujourd’hui cependant, avec Wab Kinew comme Premier ministre, nous pouvons espérer que l’on accordera une attention plus directe et plus publique à la mise en œuvre de la Déclaration, et que les choses changeront au Manitoba. Mais il y a encore tellement de travail! »
Droits humains avant tout
Du côté des peuples autochtones, « les perspectives varient vraiment, mais je pense que la plupart sont heureux de voir le Plan d’action publié et veulent s’engager dans les processus qui visent à mettre en œuvre la Déclaration.
« En même temps, il reste encore beaucoup de frustrations dans de nombreux domaines. Nous continuons à voir dans les nouvelles et les tribunaux de nombreuses contestations de décisions gouvernementales, en particulier concernant l’utilisation de terres et de ressources.
« Et comme l’économie du Canada est beaucoup basée sur ses ressources, il est urgent de traiter ces questions relatives aux droits des peuples autochtones sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources, affirme Brenda Gunn. Nous devons trouver une approche qui respecte les droits humains des peuples autochtones tout en soutenant l’économie canadienne. La notion de terre est très importante dans les cultures et les identités des peuples autochtones. »
Pour la professeure Métisse, c’est même une question de droits de la personne. « La Commission de Vérité et Réconciliation a déclaré que le processus de réconciliation devait avancer sur la base du respect et de la promotion des droits humains de toute personne au Canada, et que la Déclaration des Nations Unies fournissait un cadre pour la réconciliation.
« Par conséquent, toute personne qui résiste ou hésite à mettre en œuvre la Déclaration dit fondamentalement qu’elle ne croit pas que les peuples autochtones ont des droits humains. Dans un pays qui dit soutenir les droits de la personne, je trouve cela vraiment problématique », termine-t-elle.