Des chercheurs s’emploient toutefois à corriger le tir. 

Les femmes sont au cœur d’un nouveau programme de recherche à l’Hôpital Saint-Boniface. Le cœur des femmes, pour être précis. 

Le programme de recherche sur la santé cardiaque des femmes (Women’s Heart Health Research Program), a pour objectif de combler un manque important de données sur le fonctionnement du cœur des femmes. 

Cette lacune permet de souligner qu’il existe des différences notables entre le fonctionnement du cœur des hommes et celui des femmes. « Les femmes et les hommes sont complètement différents, indique la docteure Inna Rabinovich-Nikitin. Le système cardiovasculaire est le deuxième système le plus différent dans notre corps après le système reproducteur. » 

Un fait historique

La Dr Inna Rabinovich-Nikitin est professeure adjointe au Département de physiologie et de pathophysiologie de l’Université du Manitoba. Elle est également la première chercheuse recrutée pour rejoindre le programme de recherche de l’Hôpital Saint-Boniface. 

C’est le docteur Lorrie Kirshenbaum, directeur de l’Institut des sciences cardiovasculaires de Saint-Boniface, qui a initié le programme de santé cardiaque des femmes. 

Dans son bureau, au deuxième étage du Centre de recherche Albrechtsen, il revient sur les raisons qui l’ont poussé à établir ce programme. « Les femmes ont historiquement été sous-étudiées en matière d’essais cliniques et de compréhension des maladies cardiaques. La recherche ne commence à s’y intéresser que depuis une quinzaine d’années, ce qui est assez récent pour le domaine médical ».  

Les raisons derrière la sous-représentation des femmes dans la recherche médicale semblent multiples. Il existait, selon l’Association of American Medical Colleges, une volonté de protéger les enfants à naître, en évitant d’exposer les femmes à des médicaments et/ou à des traitements. 

En fait, avant les années 2000, le corps masculin était tout simplement considéré comme la « norme », alors que les femmes représentent près de la moitié de la population mondiale. Une appréciation dépassée et injuste, encouragée par le fait que le corps féminin est plus complexe. Qu’on pense par exemple au cycle menstruel des hormones ou encore à la possibilité de donner la vie.

Des conséquences importantes

D’ailleurs, même lorsqu’il s’agissait d’études et de recherche menées sur les animaux, les femelles étaient généralement évitées.

Les conséquences s’avèrent donc considérables. Par exemple, les dosages pour certains médicaments ou traitements sont souvent établis en se basant sur le corps masculin. Lorrie Kirshenbaum confirme : « Quand une femme va chez le médecin pour des tests, ils sont standardisés et basés sur des hommes. » 

Concernant les maladies cardiaques, le docteur explique que la recherche a vite mis en évidence certaines réalités. « Les femmes développent des formes différentes de maladies cardiaques. Pour la même maladie, elles présentent des symptômes différents de ceux des hommes. Cette prise de conscience est essentielle, car il y a des femmes qui vivent avec des maladies du cœur qui n’ont pas été dépistées. »

La Dr Inna Rabinovich-Nikitin renchérit sur les propos de son collègue. « Nous avons des facteurs de risques différents. Qui plus est, ceux que l’on partage, comme le diabète ou l’hypertension, ont plus d’effets sur les femmes. 

« D’autres facteurs sont uniques aux femmes, comme les complications de grossesse. L’accouchement prématuré augmente les risques de maladies cardiaques plus tard, généralement dix ans après l’accouchement. » 

Les bébés nés de mères ayant eu des complications sont eux aussi plus enclins à développer des maladies du cœur. C’est d’ailleurs le sujet de recherche sur lequel se concentre le laboratoire de la docteure. 

L’objectif à long terme est de comprendre scientifiquement le fonctionnement, la mécanique, les spécificités du cœur des femmes dans une multitude de contextes de santé. La Dr Inna Rabinovich-Nikitin fait remarquer : « Je pense que nous sommes très chanceux d’en être à ce stade de la recherche. On connaît  si peu de choses dans ce domaine, que chaque découverte que l’on fait a un impact énorme. » 

+++ Les débuts d’un projet de grande ampleur +++

Le Dr Lorrie Kirshenbaum, directeur de l’Institut des sciences cardiovasculaires de Saint-Boniface, indique que le programme n’a pas encore été lancé officiellement.

 « Le programme fonctionne sans véritable ampleur encore. Pour qu’il se développe, nous avons besoin de fonds. La Fondation de l’Hôpital Saint-Boniface mène présentement une campagne de financement. » 

Au moment d’écrire ces lignes, le programme disposait d’environ trois millions $. « L’objectif, c’est d’atteindre six millions $. Nous avons d’évidence besoin du soutien du gouvernement. Nous sommes optimistes. »

Lorsqu’il verra officiellement le jour, ce programme sera le premier de son genre au Manitoba. « L’Institut comprend quinze laboratoires différents, qui travaillent à la fois au niveau clinique et en sciences fondamentales. Les domaines principaux sont l’insuffisance cardiaque, les maladies coronariennes, l’ingénierie des tissus fibrosés et la cardio-oncologie.

« Le problème avec la santé cardiaque des femmes, c’est qu’il n’y a pas de programme officiel dédié à ce sujet de recherche. Nous souhaitons en mettre un en place dans les cinq prochaines années. »

Dans le meilleur des mondes, l’établissement de ce programme s’accompagnerait de la construction d’un nouveau centre de recherche entièrement dédié au cœur des femmes. 

Le Dr Lorrie Kirshenbaum précise : « Qu’il s’agisse d’une aile de l’hôpital, d’un espace existant réaménagé ou d’un bâtiment à part entière, je ne sais pas à quoi ce nouveau centre ressemblera. Chose certaine, notre vision c’est d’obtenir un espace qui regroupe tous les différents spécialistes impliqués. Afin qu’une femme atteinte de maladie cardiaque ait accès à tout ce dont elle a besoin au même endroit. » 

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