Par Jean Rony Beaucicault – Collaboration spéciale.
Si le Manitoba est ouvert aux immigrants francophones, la maîtrise de l’anglais semble être un frein dans leurs recherches d’emplois.
Ces dernières années, le Manitoba est devenu, un pôle important du volet d’immigration francophone au Canada. À travers le Programme des candidats du Manitoba (PCM), le gouvernement de la province entend attirer davantage de travailleurs qualifiés souhaitant immigrer au Manitoba, c’est ce qu’avait affirmé en 2023 la ministre du Travail et de l’Immigration, Malaya Marcelino, lors du lancement de la 11e Semaine nationale de l’immigration francophone.
Selon le PCM, les critères de sélection sont clairs : avoir un lien solide avec le Manitoba, suffisamment de compétences, d’éducation, d’expérience de travail, de capacités linguistiques et d’adaptabilité afin de pouvoir apporter une contribution économique immédiate dans la collectivité.
De nombreux travailleurs qualifiés issus de pays francophones ont utilisé ce créneau pour obtenir la résidence permanente au Canada. La tendance à une augmentation du nombre d’immigrants francophones est de plus en plus évidente. Les données du PCM 2023 font état de 7 348 désignations. Pour l’année 2024 en cours, ce chiffre est déjà de 8 254.
Force est de constater, cependant, qu’à côté de cette volonté de la Province d’accueillir beaucoup plus d’immigrants, notamment francophones, se pose aussi la problématique de leur intégration véritable dans cette nouvelle terre d’accueil. Le fait d’avoir des organismes francophones, comme l’Accueil francophone (établissement), le CDEM (employabilité) et Pluri-elles (employabilité) qui offrent leurs services constituent un plus, mais ne résolvent pas des problèmes cruciaux auxquels les nouveaux arrivants francophones sont confrontés dans l’immédiat. Pour ces francophones, ne maîtrisant pas encore l’anglais, se faire recruter semble être leur plus grand obstacle.
Témoignages
Halami* est ingénieur en informatique, il vient de la Côte d’Ivoire et vit à Winnipeg depuis août 2024. Il explique que son processus d’intégration se déroule petit à petit. Il a déjà loué un appartement et ses enfants sont dans une école francophone. Son principal objectif pour le moment est de trouver un emploi, mais il a l’air impatient :
« À mon arrivée, j’ai été orienté vers l’Accueil francophone pour mon installation et autre démarche administrative. Mon expérience au niveau de l’employabilité est la même que celle de tout nouvel arrivant, il nous est difficile d’avoir un emploi que ce soit dans mon domaine de compétence ou dans n’importe quel autre domaine.
« On galère et on n’arrive pas à avoir un emploi, malgré notre statut de résident permanent. Pourtant, des organismes comme le CDEM, Pluri-Elles ou l’Accueil francophone nous accompagnent. Même le bénévolat, je n’arrive pas à en obtenir. Cela fait quand même trois mois que je suis à Winnipeg, avec ma femme et mes trois enfants, c’est carrément déprimant pour un père de famille! »
Cependant, ce ne sont pas les opportunités d’emploi qui manquent dans la province. Selon Statistique Canada, le taux de chômage du Manitoba est de 5,9 % (octobre 2024) et se situe en dessous de la moyenne nationale qui est de 6,5 % pour la même période, comme l’attestent les offres d’emploi disponibles sur les sites du gouvernement du Manitoba, de la Ville de Winnipeg, sur Indeed et d’autres sites spécialisés.
Le hic, ce sont majoritairement des emplois qui nécessitent au moins le niveau intermédiaire en anglais. Les nouveaux arrivants de ce volet d’immigration font face au défi de pouvoir convaincre les recruteurs en anglais, une langue qu’ils ne maîtrisent pas encore. S’ajoute également l’obligation qui leur est faite par les employeurs de prouver leur expérience canadienne.
Les nouveaux arrivants francophones et l’expérience canadienne
Les nouveaux arrivants francophones sont des travailleurs qualifiés. À ce titre, ils ont des années d’expérience professionnelle dans leur domaine respectif. Mais une fois arrivés au Manitoba, l’expérience cumulée dans leur pays n’est pas transférable. Or, sans avoir vécu, travaillé ou étudié au Canada, il leur est quasiment impossible de prouver cette expérience tant souhaitée par les recruteurs.
Pour contourner cet obstacle, si certains nouveaux arrivants fuient tout simplement la province au bout de quelque temps, d’autres affrontent cette dure réalité en acceptant des emplois débutants, peu importe le nombre d’années d’expérience qu’ils avaient dans leur corps de métier. Une autre catégorie de nouveaux arrivants offrent leur service comme bénévoles afin de démontrer ce dont ils sont capables et bâtir leur réseau de relations. Une stratégie qui se révèle apparemment indispensable pour trouver du travail au Manitoba.
C’est toujours le même combat, mais chacun son parcours et sa stratégie. Zenzen Goulla est actuellement superviseur à Welcome Place, un organisme qui offre des services aux réfugiés et immigrants. Arrivé à Winnipeg en avril 2024, ce Tchadien de 37 ans, ingénieur électrique, a d’abord été bénévole avant d’être embauché. Son parcours est inspirant, il l’explique :
« Au début, ce n’était pas du tout facile, car la langue était une barrière, parce que je ne parlais pas anglais. J’ai d’abord commencé par faire du bénévolat à MANSO et à Siloam Mission. Cette expérience m’a permis de prouver mon dévouement. Après avoir suivi une séance d’orientation au CDEM, j’ai appris comment rédiger un CV et une lettre de présentation. Petit à petit, j’ai commencé à faire des petits boulots qui ne me rapportaient pas vraiment beaucoup d’argent. Cependant, en faisant du bénévolat à Welcome Place, j’ai obtenu il y a un peu plus d’un mois le poste que j’ai maintenant. »
*Le nom a été changé. La personne concernée ne souhaite pas que ses déclarations compromettent ses chances de trouver un emploi.