Et quels sont ses défis et ses forces à l’aube de ses 150 ans?

Le juge en chef Richard Wagner le souligne d’emblée, « on a fait beaucoup de chemin pour faciliter l’accès à la justice. On accompagne  les gens qui se présentent seuls devant la Cour, et on a un portail pour faciliter le dépôt de documents. Certes on a des défis au niveau du financement et des délais, mais on a d’excellents juges, bien formés et indépendants. On n’a vraiment rien à cacher ».

Le juge Wagner en sait quelque chose : en tant que juge en chef, il est aussi président de l’Institut national de la magistrature, qui dispense de la formation professionnelle continue aux juges à travers le pays.

« On est connu depuis déjà plusieurs années pour donner une formation extraordinaire au niveau par exemple des réalités sociales, préjugés, biais en matière sexuelle, tous les domaines de la vie courante.

« Nos juges sont toujours au fait de l’actualité et des réalités du moment, et nous sommes parfois invités à aller dans d’autres pays pour aider les juges à devenir de meilleurs juges.  En matière de rédaction de jugement notamment, on recherche notre appui partout dans le monde.

« De même, j’ai été président de l’Association des cours constitutionnels de langue française pendant trois ans, qui regroupe environ 45 pays dont la France, la Belgique, la Suisse et beaucoup de pays africains, et on nous a demandé une copie de nos principes d’éthique. »

Transparence et flexibilité

L’une des plus grandes forces de la CSC identifiées par Richard Wagner aujourd’hui, c’est aussi sa transparence.

« En toute humilité, je ne pense pas qu’on puisse trouver une Cour suprême plus transparente que la nôtre, déclare-t-il.

« Ce qui nous distingue également des autres, c’est qu’on est une Cour bijuridique et bilingue. On fait beaucoup d’échanges et de rencontres avec des tribunaux à l’étranger, et ils sont toujours étonnés de voir comment on peut fonctionner dans les deux langues officielles et dans les deux régimes de droit en même temps, au quotidien. C’est vraiment plus qu’une fonction, ça nous définit. Ça démontre une ouverture d’esprit particulière. »

D’ailleurs, Richard Wagner se dit grand partisan de l’échange d’informations à l’échelle internationale.
« Il y a toujours à apprendre des autres juridictions. Placées dans les mêmes circonstances, c’est toujours intéressant de voir comment chacune aborde une même question de droit. »

Le fléau de la désinformation

Si la CSC a de multiples raisons de célébrer fièrement le chemin parcouru, il lui reste tout de même des défis à relever. Selon Richard Wagner, l’un des plus grands défis qui touchent la CSC aujourd’hui est la désinformation liée à l’intelligence artificielle.

« C’est un élément d’angoisse. Dans certains tribunaux dernièrement, notamment en Colombie-Britannique, des avocats ont plaidé des arrêts de jurisprudence qui n’existaient pas! Ils ont artificiellement créé de la jurisprudence. La désinformation nous guette, il faut vraiment y faire attention.

« Une désinformation qui passe aussi par les médias sociaux, ajoute-t-il. Souvent, ils n’ont pas la même rigueur que les médias traditionnels pour rapporter la nouvelle, les actions ou les décisions des tribunaux, dont la Cour suprême, et ils leur donnent un sens différent. C’est un vrai danger. »

Lucide et proactif

Pour contrer cette désinformation, le juge en chef reste lucide, mais proactif : « Nos moyens sont limités. Le seul remède, c’est de déployer encore plus d’efforts pour donner les bonnes informations, et c’est pour cela que j’ai lancé La cause en bref quand je suis devenu juge en chef en décembre 2017.

« Dans La cause en bref, sur une page, on explique les tenants et aboutissants d’une décision, dans un langage accessible, de sorte que les gens qui n’ont pas nécessairement de bagage juridique puissent comprendre l’impact de cette décision sur leur famille, leurs ami.e.s, etc. Ce n’est pas un jugement, juste une explication.

« On rédige une Cause en bref pour toutes les causes qu’on a entendues, même les jugements rendus sur le banc. C’est très suivi. On s’est même aperçu, sondage à l’appui, que c’était utilisé par des médias d’information, des étudiant.e.s, des doyen.ne.s et professeur.e.s de droit, et même des juges! C’est donc un outil qui semble vraiment répondre à un besoin de mieux comprendre. »

Il mentionne également les Rétrospectives annuelles, qui donnent accès chaque année, à toute la population, à un résumé des activités de la Cour dans la dernière année et de ce qu’elle prévoit pour l’année suivante.

« J’ai aussi décidé en 2018 de faire chaque année une conférence de presse pour décrire aux médias ce que la Cour a fait dans l’année, les causes principales entendues. Tout ceci est notre manière de limiter la désinformation, dans les limites de nos moyens. »

Un exemple de diversité

Une autre réalité à laquelle la CSC fait face aujourd’hui bien plus qu’avant, c’est la diversité de la population qu’elle dessert. Les juges de la plus haute instance se doivent d’être des modèles en termes d’appréhension des différences culturelles.

« J’ai toujours cru que les tribunaux, incluant la CSC, devaient être le reflet de la société dans laquelle ils travaillent. Il faut que les gens se reconnaissent non seulement dans leurs tribunaux, mais aussi dans leurs institutions en général. D’où l’importance d’avoir de la diversité sur notre banc. »

Mais le juge en chef Wagner est confiant que ce défi est bien relevé par la CSC aujourd’hui.

« La Cour suprême donne le bon exemple sur ce point. Nous avons aujourd’hui une majorité de femmes sur le banc (cinq à quatre), dont une Franco-Albertaine, Mary T. Moreau, ainsi qu’une juge autochtone, Michelle O’Bonsawin, un juge racisé, Mahmud Jamal, et toujours trois juges du Québec. On a donc une belle diversité, dans une certaine limite puisque nous ne sommes que neuf! »

Représentativité

Rappelons que pour être nommé.e juge à la Cour suprême du Canada, il faut que les juges ou avocat.e.s intéressé.e.s fassent demande. Il y a alors un comité de huit personnes, de différents milieux, qui évaluent ces demandes et font des recommandations au Premier ministre. Ce dernier doit choisir parmi les recommandations du comité.

La composition du banc ne dépend donc pas uniquement de qui est au pouvoir, et le comité de huit permet d’assurer une certaine représentativité.

« C’est essentiel pour l’indépendance des juges que le Premier ministre ne puisse pas choisir directement, souligne Richard Wagner. Pas pour les juges, mais pour les citoyen.ne.s, pour que toute personne qui se présente devant la CSC soit assurée qu’elle va être jugée objectivement, quel que soit son bord politique ou qui elle est, par quelqu’un à l’abri des pressions politiques. »

En cette année du 150e, Richard Wagner est donc optimiste face à l’avenir. « On a un personnel extraordinaire de presque 250 personnes, qui restent à la CSC longtemps, termine-t-il. C’est bon signe! Et personne ne coupe les coins ronds. Le niveau de professionnalisme et d’excellence est très haut. C’est stimulant. »

Tous à la fête du 150e!

Pour célébrer son 150e anniversaire en 2025, la Cour suprême du Canada (CSC) a prévu de multiples activités, incluant à partir de février la visite de cinq villes canadiennes par le juge en chef Richard Wagner et deux de ses collègues du banc. « Sur place, nous allons rencontrer les étudiant.e.s, le public, les médias, etc. », raconte Richard Wagner.

Les trios de juges, différents pour chaque ville, se rendront ainsi à Moncton au Nouveau-Brunswick, Sherbrooke au Québec, Thunder Bay en Ontario, Victoria en Colombie-Britannique et Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest.

Du côté d’Ottawa, un symposium international aura lieu en avril, le mois anniversaire de la création de la CSC. « On aura des invité.e.s de partout dans le monde qui viendront au Canada pour faire des exposés, discuter, échanger sur l’impact des décisions de la CSC ici et ailleurs, annonce le juge en chef.

« On a également prévu un conventum en juin 2025 de tous les clercs et auxiliaires qui ont travaillé à la CSC depuis 1967. On attend environ 1 000 personnes!

Enfin, il y aura un concours d’art de la rédaction pour les étudiant.e.s en droit dans toutes les Facultés de droit du Canada, une exposition sur l’histoire de la Cour en images dans nos locaux, et même un concours de dessin pour les enfants. L’année va être très chargée de belles choses pour tout le monde! »