Symbolique, et sûrement unique au Manitoba. Et d’ailleurs partout au pays. Comme son grand-père, Alfred, mais aussi son père, Michel, et également son oncle, Marc, Christian Monnin, ancien président de la Société de la francophonie manitobaine (SFM), est devenu lui aussi juge à la Cour du Banc du Roi.
Si c’est une fonction sur laquelle il serait pour lui difficile de se prononcer en début de carrière, une question s’avère pourtant légitime : le monde dans lequel a grandi Christian Monnin a-t-il pu influer sur ses envies et ses aspirations?
« Il y a d’évidence une question de socialisation, qui s’applique à toutes les familles », note tout d’abord Christian Monnin.
« La première fois que j’ai assisté à une cérémonie d’assermentation, c’était celle de mon grand-père il y a 42 ans, quand il est devenu juge en chef du Manitoba. Je devais avoir 8 ou 9 ans. Ça a été impressionnant, en tant que jeune, de voir cette cérémonie, tout ce monde qui était présent. Je n’ai bien sûr rien décidé à ce moment-là, mais la carrière de juriste a toujours été quelque chose qui mijotait en moi. »
Nomination symbolique pour plusieurs raisons
Pour rappel, Alfred Monnin a été nommé à la Cour du Banc de la Reine en 1957 et ensuite à la Cour d’appel du Manitoba en 1962. En 1983, il a été nommé juge en Chef du Manitoba. Il a pris sa retraite de la magistrature en 1990.
Et la dimension symbolique reste vivace pour lui, car il se trouve que Christian Monnin a été assermenté le 9 mai dans la salle d’audience 210. Celle dans laquelle a eu lieu l’assermentation de son grand-père en 1983.
Christian Monnin mesure bien tout le « privilège » qu’il a d’avoir pu être nommé à cette fonction pour laquelle, avant de pouvoir y prétendre, il faut avoir exercé la profession d’avocat pendant au moins dix ans.
Me Guy Jourdain, ancien directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM), a été ravi d’apprendre cette nomination. Il revient sur le destin unique de la famille Monnin.
« C’est une tradition rare au Canada de voir une présence à la magistrature pendant trois générations de suite. Cette famille est profondément enracinée dans la communauté francophone au Manitoba. Elle comprend sa réalité et ses besoins.
« Quant à Christian Monnin, il a été un avocat réputé pour ses compétences dans le domaine du litige civil. C’est un avocat solide qui a travaillé dans le cabinet Aikins, l’un des plus réputés de l’Ouest canadien. »
Une histoire d’immigration
La famille Monnin, c’est donc une histoire de filiation « rare » comme le dit Me Guy Jourdain. Mais c’est aussi une histoire d’immigration.
Alfred Monnin, né en 1920 à Winnipeg, est un fils d’immigrants suisses. On sait combien le sujet de l’immigration est un thème récurrent dans l’histoire du Canada, comme il est d’ailleurs à nouveau une pré- occupation d’actualité. Dans cette perspective, l’apport à l’histoire manitobaine de cette famille est à souligner.
« On ne sait pas tout à fait pourquoi les parents de mon grand-père se sont installés ici, au Manitoba », rappelle Christian Monnin.
« Mais mon grand-père a toujours maintenu que s’installer au Manitoba a été une bénédiction pour lui et sa famille. On ne perd pas la perspective de comment chanceux on a été. En quasiment une génération, le montant de chance qu’on a eu est remarquable. »
Cette chance, c’est aussi le type d’éducation reçue au Manitoba et au Canada. En effet, Christian Monnin a bénéficié d’une différence majeure avec son grand-père, son père ou son oncle. Alors que ces derniers n’ont pu étudier le droit qu’en anglais, il est celui qui a pu faire ses études en français.
Une éducation en français, une différence notable
À l’instar de Richard Chartier, ancien juge en chef du Manitoba, ou de Marianne Rivoalen, l’actuelle juge en chef du Manitoba, Christian Monnin a pu étudier à l’Université de Moncton, une université canadienne de langue française, au Nouveau-Brunswick.
« C’est vrai, pour les membres de ma famille, il n’y avait pas d’autres options, comme de nos jours aller à Moncton ou Ottawa. Pour moi, faire mes études en français était très important. D’ailleurs, et ce n’est pas très connu, mon grand-père, quand il était juge en chef du Manitoba, a fait du travail pour que la faculté de Moncton soit reconnue par The Law Society of Manitoba (la Société du barreau du Manitoba). Mon grand-père, mon père, mon oncle n’ont pas eu cette base de la common law en français. Ils n’ont pas eu cette chance. Moi, ça m’a aidé énormément. »
Comme le constate Me Guy Jourdain : « L’Université de Moncton est une véritable pépinière pour les juges bilingues au Canada. »
Grâce aux possibilités d’éducation, une évolution de l’écosystème juridique manitobain est possible. Mais pour ça, il a fallu faire des gains, qui sont progressivement intervenus dans le prolongement de la crise linguistique qui a secoué le Manitoba au début des années 1980.
Contexte juridique plus favorable à la francophonie
Alors que le Manitoba vit désormais dans une province qui se veut « véritablement bilingue », selon les souhaits du gouvernement de Wab Kinew, est-il possible d’avancer que le fait français dans le milieu de la justice a favorablement évolué au Manitoba? « J’oserais croire que oui », estime Christian Monnin.
« Mon grand-père, si ma mémoire est fidèle, n’avait pas le droit de plaider en français. Puis, à l’époque de mon père, ça a aussi pris du temps pour que ce soit reconnu dans les sphères législatives et juridiques. Durant ma carrière en tant qu’avocat, j’ai constaté un virage dès mes débuts, il y a 23 ans. Dorénavant, il y a plus de capacité bilingue à la cour. Il y a plus de reconnaissance de nos droits. Pour ceux et celles qui veulent procéder en français, c’est plus facile. »
De fait, la nomination de Christian Monnin « va dans ce sens-là », souligne Me Guy Jourdain, qui rappelle tout de même qu’il reste des zones sujettes à l’amélioration.
« L’un des bémols que je vois, qui n’est pas lié à cette nomination, c’est qu’il y a encore des besoins au niveau de la Division de la famille. En ce moment, il y a, je pense, une juge anglophone qui entend des causes en français, à l’occasion. Mais personne n’est parfaitement à l’aise en français. C’est une lacune qui, je crois, existe depuis six ans, lorsque la juge Rivoalen a été nommée à la cour d’appel fédérale. »
L’histoire de la famille Monnin témoigne de l’évolution favorable au fait français dans le monde judiciaire au Manitoba. Et elle pourrait bien continuer dans ce sens. « Ma conjointe est avocate aussi. Il est très difficile de dire à nos enfants : N’allez pas en droit, faites autre chose, quand on sait à quel point on a tellement été choyé par cette profession et cette communauté. »
L’ancien président de la SFM incarne assurément l’un des slogans de l’organisme, sorte de mot d’ordre qui tenait à affirmer ainsi la présence de la communauté francophone au Manitoba : De génération en génération.
Un nombre de juges francophones qui a valeur de symbole
Outre Christian Monnin, Douglas E. Johnston, associé chez Myers LLP à Winnipeg, a été assermenté le 9 mai comme juge à la Cour du Banc du Roi pour le Manitoba (Division de la famille) à Winnipeg.
Il remplace le juge W.R. Johnston, qui a choisi de devenir juge surnuméraire.
Au Manitoba, la Cour du Banc du Roi compte 24 juges pour la Division générale, dont deux juges surnuméraires. La Division de la famille compte 16 juges, dont trois surnuméraires.
Parmi ces 24, plusieurs sont francophones : Glenn D. Joyal, Gerald L. Chartier, Alain G. J. Huberdeau, Shane I. Perlmutter et, dorénavant, Christian L. Monnin.
Quant à la part francophone du tribunal, Christian Monnin observe : « Je ne n’ai pas connaissance d’un autre temps où on a eu autant de juges bilingues à la Cour du Banc du Roi. C’est un symbole important pour l’avenir. D’ailleurs, je vois une ouverture de la part de mes collègues, et aussi dans le reste de la profession. Ça augure bien en faveur de la normalisation du bilinguisme. »