Les régions du Manitoba regorgent de petites villes et villages. Chaque point sur la carte est le fruit d’un héritage souvent conservé par de petits musées dont l’existence est essentielle. Pour préserver le patrimoine, mais aussi la santé des communautés dont ils racontent l’histoire.  

L’on ne recense pas loin de 200 musées à travers le Manitoba dont plus d’une quarantaine se trouvent à Winnipeg. Mais l’on en trouve un peu partout dans les régions. À vrai dire, l’on en trouve presque autant qu’il y a de petites villes et villages. D’ailleurs, à l’image du Manitoba et des communautés qui y vivent, les musées reflètent une grande diversité. Certains parlent d’histoire, d’art ou de science. À Saint-Léon, on nous parle de la nature et d’innovation, à Austin, on raconte l’industrie agricole.

Même à l’intérieur de ces grands thèmes, ces musées disséminés çà et là invitent à découvrir les histoires qui sont propres à la région qui les abrite. On retrace l’héritage colonial européen, d’autres préfèrent rappeler celui des peuples autochtones.

Ces musées-là, généralement beaucoup plus modestes que ceux des grands centres urbains, jouent un rôle tout aussi important. C’est en tout cas ce qu’affirme Yves Bergeron, professeur de muséologie et de patrimoine à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Ces petits musées représentent le cœur du réseau des musées privés au Canada. Ce sont des musées très proches des communautés, la plupart du temps ils sont créés par des gens de la communauté, des collectionneurs, des mécènes. Ils sont souvent liés à des sociétés historiques, des comités de citoyens qui défendent le patrimoine. Ils sont importants. »

Le professeur évoque trois « grandes catégories » de musées : les arts, les sciences, et les musées de société.

Les musées dont il est question ici, que l’on appellera « musées de société », ou, avec affection, « petits musées », appartiennent, selon Yves Bergeron, à la troisième catégorie.

Il faut ensuite parler du modèle de gestion de ces établissements. Là, deux catégories existent.

« Les musées nationaux, financés par l’État, que ce soit le fédéral ou le provincial et tous les autres musées qui suivent le modèle des organismes à but non lucratif. »

Ils voient le jour sous l’impulsion de la communauté, de sa volonté de préserver son patrimoine, « ils sont ancrés dans le territoire et c’est la catégorie de musée la plus importante ».

Un rôle économique

Un point que soulève Yves Bergeron et qu’il est assez intéressant de noter, c’est que les musées nationaux représentent moins de 1 % des musées au Canada. Par conséquent « les musées de société représentent plus de 60 % de la fréquentation ».

En ce sens, au-delà de la préservation du patrimoine et de leur aspect pédagogique, ces petits musées jouent aussi un rôle économique non négligeable.

Dr Doug Ramsey est professeur titulaire et directeur du département de développement rural à l’Université de Brandon, il est aussi l’éditeur du Journal of Rural and Community Developpment. En 2023, le journal publiait les travaux de recherche de Christopher D. Malcolm, PhD et professeur au département de géographie et de l’environnement dans la même université. Dans son étude intitulée The Importance of Museums to Rural and Small Towns in Manitoba, Canada, Christopher D. Malcolm revient sur les conclusions de ses travaux, qu’il a menés en 2017.

« Une grande majorité des personnes qui visitent les musées prévoient d’en visiter d’autres dans le futur. Alors même si ce n’est pas l’objectif principal des musées, ils attirent les gens dans la région et ces gens-là achètent de l’essence, vont boire un café dans le coin, alors même si l’entrée de ces musées est souvent gratuite, ils attirent des gens qui dépensent de l’argent dans ces zones rurales. »

Un rôle communautaire

D’abord, Doug Ramsey et Christopher D. Malcolm s’entendent sur le constat suivant : les petits musées sont une source de fierté pour les communautés rurales.

Mais ils jouent aussi un rôle actif dans la vitalité de ces dernières.

« Ils font partie de la communauté et socialement, ils en sont souvent au cœur », indique Doug Ramsey.

Son collègue rebondit là-dessus : « Ils permettent de préserver la présence des communautés dans les prairies, un certain nombre de personnes s’y rendent pour faire des recherches sur l’histoire de leur famille. »

De plus, ils sont aussi un lieu de rassemblement, un phénomène qui s’est d’ailleurs renforcé pendant et après la pandémie de COVID-19, selon Doug Ramsey.

« Les bâtiments que les musées occupent servent des fonctions communautaires. Pendant la pandémie, dans plusieurs petites villes et villages, les musées, parce qu’ils étaient assez grands, ont pu servir ces fonctions en respectant les mesures de distanciation sociales en vigueur à l’époque. Les petits musées sont donc devenus une partie entière de la communauté à ce moment-là. »

Les musées sont donc à la fois les gardiens de l’histoire, mais aussi des partenaires essentiels. Doug Ramsey fait référence par exemple aux partenariats qui peuvent exister entre les musées et d’autres organisations à but non lucratif locales. « Ils accueillent des évènements communautaires, ils permettent à des groupes divers d’utiliser l’espace pour des rencontres. »

De plus, il faut souligner la fonction de transmission que remplissent les petits musées ruraux.

De fait, ils accueillent des élèves de l’école locale, parfois des régions environnantes dans le cadre de programmes scolaires et se font, par la même, des partenaires importants pour l’éducation.

Les défis    

Les chercheurs s’inquiètent tout de même de la santé et de la pérennité de ces institutions. Il faut dire que les défis, à défaut d’être très nombreux, ne sont pas moins redoutables.

Christopher D. Malcolm, dans ses travaux, fait valoir que beaucoup des directeurs de musées interrogés s’inquiétaient quant à leur capacité de rester ouverts.

Il faut comprendre que dans la majorité des cas, les musées sont gérés par une seule personne, bénévole, souvent âgée.

« Sans relève et sans un intérêt renouvelé de la part de la communauté, certains craignent de devoir fermer leurs portes au cours des 10 prochaines années. »

Quelques-uns ont d’ailleurs déjà fermé.

C’est un problème encore plus important dans les communautés qui vieillissent, et celles où la population diminue en raison d’un exode des jeunes générations qui se rapprochent des centres urbains.

« Plus la communauté est isolée, plus c’est difficile. »

À cela, il faut ajouter l’état des bâtisses elles-mêmes, souvent vieillissantes et en besoin de rénovations. Des rénovations qu’il est parfois difficile de mettre en route pour des raisons monétaires. Et c’est là qu’apparaît le problème suivant, celui du financement.

« Tous les musées ne peuvent pas bénéficier de fonds chaque année de la part de la province. L’enveloppe se rétrécit à l’inverse de la demande », précise Christopher D. Malcolm.

Nous sommes une province où les températures sont extrêmes et les bâtiments en payent le prix et la facture est souvent trop difficile à payer.

D’une même voix, les professeurs arguent qu’une partie de la solution se trouve auprès de la communauté elle-même.

« Les besoins des musées ne sont généralement pas énormes, lance Doug Ramsey, mais si l’on regarde au total, ça fait beaucoup. C’est difficile, car l’enveloppe est ce qu’elle est. Une communauté engagée est le meilleur pari. Qu’il s’agisse de bénévolat, ou d’une municipalité qui fait des demandes de fonds. »

Il mentionne aussi la philanthropie, en reconnaissant tout de même qu’il y a de moins en moins d’argent dans les poches des gens.

« C’est plus facile pour les communautés plus larges, c’est sûr. »

Il faut retenir surtout que toutes les situations sont différentes, et que lorsqu’il s’agit de trouver des solutions, une approche au cas par cas est de mise.  

« Une communauté, ce sont d’abord des personnes, pas seulement de l’argent. L’engagement doit venir des gens, des conseillers municipaux, des écoles. Je pense que c’est ça, le premier pas vers une solution. »

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté