Par Michel LAGACÉ.

Contrairement à Jean Chrétien qui a nommé Jean Pelletier, son ancien confrère de classe, comme chef de cabinet, et à Justin Trudeau qui pouvait compter sur Gerald Butts et Katie Telford, Mark Carney n’avait pas à ses côtés des gens avec qui il avait travaillé longtemps et en qui il avait pleine confiance pour le guider.

Pas surprenant alors que des gaffes ont commencé à apparaître. La plus sérieuse est survenue lorsque le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, a annoncé que le gouvernement n’allait pas déposer un budget cette année mais qu’il se contenterait d’une mise à jour des états financiers du gouvernement cet automne. L’annonce a été sévèrement critiquée pour son manque flagrant de transparence et de respect des conventions.

Trois jours plus tard, Mark Carney a dû contredire son ministre des Finances et assurer qu’un budget serait déposé cet automne. Une intervention embarrassante somme toute qui n’a rien pour rassurer le public et les marchés financiers.

Plus tôt, à la fin de la première réunion du conseil des ministres, Mark Carney avait invité les journalistes à entrer à la salle de réunion. Devant les caméras, il a signé un document dans lequel il disait charger le ministre des Finances de proposer un projet de loi pour alléger le fardeau fiscal de la classe moyenne. Évidemment, ce n’est pas ainsi que les décisions sont prises et communiquées au Canada, et ce petit coup de théâtre n’aurait pas pu mieux ressembler à la façon d’agir de Donald Trump qui règne par décret.

À son arrivée au pouvoir en 2015, Justin Trudeau avait commencé à publier des lettres de mandat qu’il adressait à chacun de ses ministres. Chaque lettre comprenait un aperçu des grandes priorités du gouvernement, suivi des objectifs spécifiques que chaque ministre devait atteindre dans son propre ministère. Après avoir nommé les membres de son conseil, Mark Carney a suivi cette pratique en adressant une lettre à tous les ministres, mais au lieu de préciser leurs tâches, il a tout simplement esquissé les sept priorités du gouvernement.

Il a aussi demandé à chacun de définir leurs principaux objectifs et les mesures de réussite qui serviront à évaluer leurs résultats. Le Premier ministre n’a donné aucune indication de ses attentes ni des mesures d’évaluation qu’il utilisera. Il laisse ainsi de nombreux ministres tenter d’imaginer comment ils contribueront à atteindre les objectifs du gouvernement et comment ils seront évalués. Pensons par exemple à la toute nouvelle secrétaire d’État à la Nature (oui, ce poste vient d’être créé), Nathalie Provost, qui a été contrainte en entrevue à reconnaître qu’elle n’était pas en clair sur ses tâches.

Mark Carney a raison d’insister sur ses deux grandes priorités : faire face résolument à l’agression commerciale américaine et construire une économie canadienne plus dynamique et résiliente. Mais pour y arriver, il devra s’entourer d’une garde rapprochée expérimentée qui pourra coordonner ses efforts et le libérer des nombreuses décisions qui viendront le distraire.

Car gouverner, c’est avant tout choisir où mettre ses efforts et à qui déléguer des tâches.