La ville de Flin Flon, nichée à la frontière du Manitoba et de la Saskatchewan, a été évacuée la semaine dernière. Thomas Mérand et Alain Lachapelle, évacués avec leurs familles respectives, nous racontent leur calvaire.
Au départ, c’est le déni. Il y avait bien de la fumée, on pouvait voir le feu à l’horizon, mais « c’était censé aller dans la bonne direction », explique Thomas Mérand.
« La Ville disait que tout était sous contrôle. Les vents soufflaient vers le nord-ouest, le feu restait éloigné. On n’était pas inquiets. Même avec ma compagne, on plaisantait en faisant la valise de secours. On n’y croyait pas plus que ça. »
Même son de cloche pour Alain Lachapelle et son époux. « Le vent soufflait dans la bonne direction. Donc je me disais : Non, ça va être correct, on va être correct. Je ne sais pas si j’essayais de me convaincre ou de convaincre les autres, mais on se disait que tout allait bien aller. »

Le ciel devient orange et la fumée noire se fait de plus en plus de place. Mais là encore, en ce jeudi 29 mai au matin, Alain Lachapelle reste optimiste. Lui et Thomas Mérand, tous les deux collègues à la station minière de Flin Flon, ont pour habitude d’aller marcher les midis. « La Ville avait préparé un plan, on était rassurés. On pensait encore qu’on allait être corrects. »
Mais le vent a tourné fort. Trop fort. Vers 15 h, tout bascule. Ils entendent les haut-parleurs de la police et des pompiers : il faut évacuer la ville. Thomas part immédiatement chercher sa fille Nora, deux ans, à la garderie, pendant que sa compagne, Emily Sparling, s’apprête à quitter l’École McIsaac School, où elle enseigne.
« Notre maison est tout au nord de la ville, alors on était vraiment proche du feu. J’ai pris ma fille dans mes bras, et en levant les yeux, j’ai vu un bombardier d’eau passer à dix mètres au-dessus de chez moi. C’était comme une scène d’apocalypse. »

Ce moment-là, il ne l’oubliera jamais : « J’ai dit à ma fille qu’on partait en vacances. Elle est restée collée à moi tout le temps. Elle sentait qu’il se passait quelque chose, mais elle n’a pas bronché. Ma compagne est arrivée, on a juste pris la valise, quelques bouteilles d’eau, mon portable de travail. C’est tout. Pas de chaussettes, pas de rasoir. Dans ce moment-là, on pense à ce qu’il y a de plus important : j’avais ma fille, ma femme. C’est tout ce qui comptait. »
Pareil pour Alain et son mari : « On a pris la valise, les chats, un peu de nourriture, les ordinateurs portables et les passeports. Mon mari a une superbe guitare. On ne l’a même pas prise. C’est fou ce que tu laisses derrière toi quand t’as juste quelques minutes pour réfléchir. »
Bien qu’éternel optimiste, quand Alain Lachapelle se replonge dans « ce moment si intense », l’émotion monte. Au bout du fil, il prend un moment pour souffler.
« Quand t’as vécu ça, tu comprends que ça change tout. Je me souviens voir aux nouvelles des reportages sur Fort McMurray, Jasper. Je me disais : Ah ouais, c’est rough, puis on pense à autre chose. Mais là… C’est vraiment pas facile, c’est ta vie, ta maison, tes parents, ta communauté. C’est tellement épeurant! Ça bouleverse tout ton monde complètement. »
Thomas et sa famille font partie des premiers à avoir quitté Flin Flon, avant les indications d’évacuation vers Winnipeg. Ils ont d’abord trouvé refuge chez des amis à Neepawa, puis à Minnedosa, dans une location près de la plage. Le plus important maintenant : être en sécurité, préserver leur fille et essayer de trouver une routine, malgré toute l’incertitude.
« Je me force à travailler tous les jours, même si je n’ai pas toujours envie. Je mets un pantalon de travail, pour me donner un semblant de routine. On essaie de tout faire pour que notre fille ne sente pas l’angoisse. On a pris une location près de la plage pour faire comme si c’était des vacances pour elle. »
Ce qui aide aussi, c’est le contact social. Garder le contact avec les amis, la famille. « On sent qu’on a besoin de soutien familial. C’est pour ça que l’on part chez la famille de ma conjointe, en Ontario. On a pris des billets d’avion sans retour. Car on ne sait pas quand on va pouvoir rentrer chez nous ou si même ce sera possible. »

« Le plus dur, c’est l’attente »
Alain a trouvé refuge en Saskatchewan, avec son mari et sa belle-famille. Ils savent qu’ils font partie des chanceux. Ils travaillent, ils sont assurés et entourés. Malgré tout, l’inquiétude règne.
« Il y a vraiment une belle communauté à Flin Flon. Mais on se demande : Si tout brûle, tout sera fini? Et même si on revient, comment ça va être? »
Vivre dans l’entre-deux et ne pas savoir s’ils vont revoir leur maison, c’est le plus dur pour Thomas Mérand. « On passe des journées à actualiser les nouvelles, à regarder les cartes. On cogite, on cogite. Mais il y a aussi beaucoup de fausses nouvelles. Alors on essaie de ne pas trop regarder non plus. Parce que c’est trop de stress. Je n’ai pas dormi pendant une semaine. J’ai même rêvé qu’un pompier toquait à la porte de notre Airbnb pour nous évacuer de nouveau. »
De plus, la compagne de Thomas est enceinte de 5 mois. « Notre bébé est prévu pour octobre, et je ne sais même pas où on va l’accueillir. Pendant longtemps, je me suis dit que notre maison n’existerait plus. Je préfère m’y préparer. Comme ça, si elle est encore là, ce sera une bonne surprise. »
Malgré tout, Thomas Mérand et Emily Sparling se comptent parmi les chanceux. Thomas peut travailler à distance, les enseignants sont encore payés et, surtout, ils ont été très agréablement surpris de la réponse de leur assurance.
« On est chez Wawanesa, et j’allais justement changer d’assurance, parce que je trouvais ça trop cher. Mais leur réponse a été incroyable. Ils nous ont fait des virements sans poser de questions. On va continuer d’avoir une aide financière de leur part. Ça aide beaucoup. Il y a des familles qui n’ont pas cette chance, qui ne travaillent pas et n’ont plus de salaire. Nous, on fait partie des chanceux. »
Comme message de fin, Thomas Mérand partage sa révolte : « Ce qui me sidère, c’est de voir l’importance des feux de forêt d’un côté, et de l’autre, nos politiques qui parlent d’armement, de barrières douanières… On a nos maisons qui brûlent là! La planète Terre brûle. Si ça se trouve, dans pas longtemps, ce ne sera plus respirable et il n’y aura plus rien. Ça me choque de voir que les politiques, dans beaucoup de pays, ne font pas attention à ça. »