L’église Harrow United Church, grâce à la création d’un tour autoguidé, souhaite faire la lumière sur les évènements qui ont provoqué la disparition de Rooster Town.
Le 11 juin, pas moins d’une cinquantaine de personnes étaient rassemblées sur les bancs de l’église Harrow United Church au coin de Mulvey Avenue et Harrow Street.
Au sol à l’entrée de la petite église communautaire, les mots « bienvenu » en plusieurs langues autochtones ont été inscrits à la craie sur le sol.
À l’intérieur, du thé et du bannock attendent les visiteurs.
Rae Leaden, présidente du conseil de l’Église communautaire Harrow, s’occupe d’accueillir les résidents qui passent la porte d’entrée.

Visite autoguidée du quartier
La journée est toute particulière. Elle marque le lancement d’une visite autoguidée du quartier autrefois connu sous le nom de Rooster Town.
« Le parcours de Rooster Town est le dernier projet d’une série d’initiatives de réconciliation, explique Rae Leaden. C’est une visite à laquelle on peut accéder en ligne. »
Parmi les projets mis en place par la congrégation de la petite église de quartier, un jardin communautaire dans lequel poussent des plantes médicinales, des ateliers de broderie métis, mais aussi une grande fresque murale qui orne le côté de la bâtisse.
Cette dernière met en scène une aînée autochtone qui semble raconter une histoire à une douzaine de figures peintes.
Des figures inspirées de jeunes âgés de 12 à 19 ans ayant participé au projet.
Quant au parcours, « il dure environ une heure et 15 minutes et permet d’en apprendre plus sur une histoire importante de la ville que peu de gens connaissent ».
À l’aide d’un code QR, il est donc possible de suivre le parcours et d’en apprendre plus sur ce à quoi ressemblait le quartier, et la vie dans ce dernier, avant les années 1960.
Rooster Town, que les résidents appelaient à l’époque Pakan Town, abritait une communauté composée majoritairement de per-sonnes métisses.
Fondé en 1901, le quartier a fini par disparaître sous la pression de la ville de Winnipeg qui cherchait à se développer. Là où se trouvent aujourd’hui le centre commercial de la rue Grant et la piscine Pan am, vivait alors toute une communauté.
Rétablir la vérité
Pour Rae Leaden, la création de ce parcours est un moyen de faire la lumière sur les exactions de la Ville ainsi que de rétablir la vérité.
« En grandissant dans ce quartier, nous avons entendu parler de Rooster Town et des propos mensongers que certains journalistes ont écrits à l’époque.
On a entendu toute sorte de mensonges : qu’ils étaient sales, sans emploi ou encore qu’ils étaient porteurs de maladies. »
Des propos dont se souvient encore Frank Sais, fier métis et ancien résident de Pakan Town.
Frank Sais et sa famille ont été forcés de quitter leur foyer en 1960. Il avait alors 18 ans.
« On nous considérait comme de sales Autochtones. Pour qualifier nos maisons, ils parlaient de cabanes et c’est encore douloureux aujourd’hui, ce n’étaient pas des cabanes, c’était notre chez-nous. »
La douleur encore présente
Accompagné de son fils Darrel, Frank Sais a pris la parole ce mercredi pour raconter ses souvenirs de sa vie à Pakan Town ainsi que les circonstances dans lesquelles la Ville a petit à petit fini par chasser toute la communauté de leur terre traditionnelle.
À l’époque, la Ville offrait 75 $ aux résidents pour « quitter volontairement » les lieux.
Présentés comme des parasites, les résidents payaient en réalité des taxes à la Ville. La plupart des hommes travaillaient à la laiterie ou encore dans les écuries qui existaient au coin des rues Cambridge et Fleet et les femmes, elles, étaient souvent domestiques.
Frank Sais, quant à lui, était laitier. Cela l’amuse d’ailleurs un peu de savoir qu’on disait de lui qu’il était « plein de maladies », il rappelle non sans une pointe d’ironie : « J’allais de maison en maison livrer le lait ».
Malgré cela, Frank Sais raconte son histoire sans animosité : « Je me fiche de ce qu’ils pensaient, on pourrait croire que j’ai beaucoup de rancœur, mais non. Les gens sont comme ils sont. Je ne me plains pas, j’ai eu une belle vie. »
Des excuses attendues
En 2022, Frank et Darrel Sais se réjouissaient d’apprendre que la Ville avait accepté de renommer le Pan Am Pool Park en Rooster Town Park. La prise de parole d’aujourd’hui continue de s’inscrire dans une quête pour « réparer une injustice » qui tient beaucoup à cœur à Darrel Sais.
« C’étaient simplement des gens qui essayaient de gagner leur vie, lance-t-il. Ils ont détruit une communauté vivante et solidaire seulement parce qu’ils étaient autochtones. Il ne s’agissait pas seulement d’une maison, on leur a enlevé leur foyer. Ils ne savaient pas où aller. J’ai vu à quel point ça avait rendu ma grand-mère malheureuse. »
Aujourd’hui, Darrel Sais indique qu’il aimerait que la Ville présente officiellement des excuses aux anciens résidents de Pakan Town.
L’on préfèrera ce nom à celui de Rooster Town, car Frank Sais confie qu’il n’a aucune idée d’où est venu ce nom-là. « Il y avait peut-être quelques poules, peut-être un coq dans le quartier… mais je crois que c’était pour se moquer. »
Quoi qu’il en soit, Frank Sais a su mener sa vie sans jamais oublier où elle avait commencé, et en dépit des railleries, il a su rester fier. Il le clame d’ailleurs encore : « Si quelqu’un me demandait d’où je venais, où j’étais né, je répondais toujours avec un grand sourire : Rooster Town! »
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