Par Inès LOMBARDO.

Alors que Mark Carney prévoit de réduire l’immigration temporaire, y compris celle des étudiants étrangers, la part d’étudiants francophones en situation minoritaire qui sera accueillie lors de la prochaine année scolaire reste incertaine. L’Association des collègues et universités francophones se dit « inquiète ».

Depuis son élection, le premier ministre Mark Carney a rappelé plusieurs fois qu’il envisageait de réduire la part d’immigrants temporaires, dont les étudiants étrangers, en deçà de 5 % de la population canadienne. Cette prévision s’inscrit notamment dans le sillage de ce que le dernier gouvernement de Justin Trudeau planifiait.

Toutefois, un flou plane sur les places réservées aux étudiants étrangers francophones hors Québec pour 2025 ou 2026. 

Sous la précédente législature, l’ex-ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), Marc Miller, avait plafonné le nombre d’étudiants étrangers en janvier 2024.

Il avait ensuite dévoilé la création du Programme pilote pour les étudiants dans les communautés francophones en situation minoritaire (PPECFSM).

Une mesure annoncée après une levée de boucliers des communautés francophones et le dépôt d’une plainte au Commissariat aux langues officielles par l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) au printemps 2024. Cette plainte soutient que le plafond ne respecte pas la Loi sur les langues officielles. Cette plainte est en cours de traitement.

Facteur de risque

Sans chiffre précis, les établissements postsecondaires francophones ne savent pas sur quel pied danser.

« Pour nous, c’est un facteur d’incertitude et de risque extrêmement important, élevé, qui font que les conséquences du point de vue budgétaire, mais aussi par rapport à notre projet de société [pour la francophonie en situation minoritaire, NDLR], peuvent être dramatiques », observe la rectrice de l’Université de Hearst, Aurélie Lacassagne.

Selon cette dernière, quand les annonces concernant l’accueil d’étudiants sont faites, la mise en œuvre est immédiate au niveau du gouvernement. « Mais l’année universitaire elle ne fonctionne pas comme ça. On travaille toujours un an à l’avance », souligne-t-elle.

L’incertitude par rapport aux étudiants qu’elle peut ou non accueillir dans son université pourrait « nous poser des problèmes légaux, parce que moi, à partir du moment où j’ai fait une lettre d’admission, je m’engage vis-à-vis des futurs étudiants ». « Donc c’est compliqué si demain on me dit “bah non, tu peux pas me faire rentrer l’étudiant au mois de janvier” ».

« On a des inquiétudes », confirme le PDG de l’ACUFC, Martin Normand.

« Ils devraient être inquiets »

« Ils devraient être inquiets », commente une source proche du dossier fédéral de l’immigration que nous ne pouvons pas nommer, parce qu’elle n’a pas la permission de parler aux médias.

Selon celle-ci, le problème majeur est que les universités et les collèges francophones en dehors du Québec sont « plus vulnérables que leurs équivalents anglophones. Pour plusieurs raisons, de sous-financement, d’accès aux fonds […] surtout dans des régions ».

Cette personne cite l’exemple de l’Université Laurentienne, tellement endettée et à court de financement qu’elle a dû renvoyer de nombreux professeurs et couper des programmes en français. « Mark Carney devrait se pencher avec plus de minutie sur ces enjeux », poursuit cette même source.

En revanche, cette source explique que les établissements postsecondaires francophones ont pu être desservis par leur tendance à « renflouer leur coffre » avec les frais de scolarité des étudiants internationaux. « Je pense qu’il y a des gens qui ont fait ça à outrance », estime-t-elle.

Cela expliquerait selon elle la réserve du fédéral d’accueillir des étudiants étrangers, qui sont utilisés pour augmenter les revenus des établissements, car ils paient des frais plus chers que les étudiants d’origine canadienne.

Les données prévues pour les résidents permanents francophones

L’actuelle ministre, Lena Metledge-Diab, a confirmé en entrevue avec Francopresse le 12 juin qu’elle conserverait les cibles d’accueil de résidents permanents francophones hors Québec dévoilées par l’ex-ministre d’IRCC, Marc Miller, lors du dernier gouvernement Trudeau. Elles sont de 8,5 %, 9,5 % et 10 % pour les années 2025, 2026 et 2027.

Il s’agit de la seule cible qui augmente, puisque le gouvernement a promis d’accueillir globalement moins d’immigrants, soit 395 000 en 2025.

Elle ajoute une nouvelle cible, promise par le premier ministre Mark Carney lors de la campagne électorale : celle de 12 % de francophones pour l’extérieur du Québec en 2029.

Elle ne peut cependant pas donner de précisions sur le nombre d’étudiants étrangers qui pourraient être accueillis.

Pistes

De son côté, l’ACUCF espère que le gouvernement fédéral clarifiera sa position sur les étudiants étrangers francophones en augmentant la capacité du programme, qui a été annoncé l’an dernier.

D’autres options sont envisageables selon l’Association, comme fixer des cibles à la hausse pour le nombre de résidents temporaires pour « permettre de maintenir les cibles en matière d’étudiants internationaux francophones » ou encore « inclure les étudiants francophones dans la cible de 12 % ».

L’Association le rappelle : les étudiants internationaux francophones qui sont résidents temporaires et qui sont actuellement aux études ne font pas partie de la cible de 12 % souhaitée par Mark Carney.

« Ils font partie de la cible seulement s’ils font la transition à la résidence permanente », précise Martin Normand.

« Il faut protéger le nombre d’étudiants internationaux qui rentrent au Canada dans nos établissements francophones, malgré la baisse annoncée du nombre de résidents temporaires au Canada. C’est là que les deux morceaux doivent s’imbriquer », affirme-t-il encore.