Par sa force de caractère et son sens de l’engagement, elle a su inspirer des générations d’élèves.

La native de Grèce avait fait de l’enseignement sa vie et jusqu’au bout, elle a eu envie de partager sa passion pour la pédagogie.

Quelques jours à peine avant son décès, la pédagogue de cœur écrivait à La Liberté pour présenter son «  projet d’une vie d’enseignante œuvrant dans un milieu minoritaire. »

Dans un document d’environ 180 pages titré Vous, madame, vous avez le feu sacré!, elle a voulu partager ses souvenirs, photos, anecdotes ou encore ressources pédagogiques.

Avec l’accord de sa famille, il est possible de découvrir l’intégralité de son projet.

« Une grande éducatrice »

Au début du manuscrit, on peut lire : « Je dédie ce livre de souvenirs de mes années d’enseignement aux centaines d’élèves qui m’ont fait confiance et m’ont suivie dans ma plus belle aventure : celle d’enseigner ».

Aujourd’hui, d’autres la remercient pour son travail et lui rendent hommage.

Alain Laberge, le directeur général de la DSFM, a notamment souligné : « Lefco était une battante. Une grande éducatrice qui défendait chacun, chacune de ses élèves. Une femme de caractère qui allait au combat pour que la Division scolaire franco-manitobaine se batte sans relâche, afin de garantir une éducation de qualité pour nos enfants.

« Lefco n’avait pas peur de partager ses opinions. Parfois avec caractère et détermination, mais toujours dans le respect et la collaboration. Et bien sûr afin de permettre à nos écoles de grandir. »

Toujours prête pour l’aventure

Malgré sa tristesse, Christina Doche, la fille de Lefco, a tenu à partager quelques mots sur sa mère.
Elle décrit une femme curieuse qui cherchait toujours à en apprendre plus. « Elle s’informait, lisait toujours de nouveaux romans, avait toujours un film ou une émission à recommander. Et, elle avait aussi le sens de l’aventure, toujours partante pour s’essayer à de nouvelles choses. »

Deux jours avant son décès, Lefco Doche affichait toujours le même tempérament. Christina Doche raconte  :

« Elle était très faible, je lui ai proposé de sortir pour une randonnée. Elle m’a dit : Pourquoi pas, faisons quelque chose de fou! Sa réponse restera avec moi longtemps… »

Lefco Doche avait commencé à apprendre le français avant l’âge de 10 ans. C’est en 1966 qu’elle arrive à Montréal, après avoir vécu un temps en Suisse. C’est au début des années 1970 qu’elle suit son mari à Winnipeg, là où il avait trouvé un emploi.

Dans la salle d’attente d’un dentiste, c’est en remarquant une annonce d’emploi dans les pages du journal La Liberté, qu’elle trouve un travail à l’école Lacerte du Parc Windsor, alors dans la division scolaire de Saint-Boniface.

C’est ainsi que sa carrière d’enseignante dans le monde franco-manitobain a démarré.

L’exigence comme boussole

Lefco Doche, qui était spécialement reconnue pour ses productions de pièces de théâtre et de spectacles musicaux mettant en vedette ses élèves, a enseigné pendant 32 ans.

Elle est restée à l’école Lacerte jusqu’en 2006, l’année de sa retraite.

Denis Beaudette a été son collègue pendant 17  ans. Il s’occupait d’élèves en 7e année, et elle d’élèves en 8e année.

Denis Beaudette évoque leur complicité. « Elle était très exigeante en français. On se complémentait. Elle avait créé une feuille de verbes. Ce document était comme une gymnastique merveilleuse entre les différents modes et temps des verbes. Ce que je faisais en 7e, elle le complétait en 8e.

« En français, c’était une icône au niveau de la qualité de la langue. C’était une femme avec un grand cœur, une belle personne ».

Par la suite, celle qui était une inconditionnelle amoureuse de la littérature, de la poésie et de l’histoire françaises a continué à œuvrer dans l’éducation en siégeant jusqu’en 2014 à la Commission scolaire franco- manitobaine pour la région urbaine.

D’ailleurs, ce rôle de commissaire scolaire est arrivé un peu par hasard dans sa vie. C’est lors de la soirée pour sa retraite en juin 2006 et d’un « discours un peu loufoque où je me présentais comme le Wayne Gretzky de l’éducation » qu’on lui a lancé l’idée de se présenter. (1)

« L’amour pour l’enseignement »

Bernard Lesage est le président de la Commission scolaire franco-manitobaine (CSFM). Il a siégé plusieurs années à la même table que Lefco Doche. Son constat : « C’était une personne avant tout pédagogue. »

Il précise sa pensée  : « L’amour pour l’enseignement, pour la langue française, on le voyait briller dans ses yeux. C’est certain qu’elle a marqué beaucoup de gens en tant qu’enseignante, mais aussi autour de la table de la commission scolaire. Elle mettait toujours l’élève au centre de nos décisions. C’était, pour elle, le souci principal. »

En 2015, elle quitte finalement le Manitoba pour retourner en Grèce et redécouvrir son pays natal. Mais, elle n’y est pas seulement allée pour profiter de sa retraite.

Elle avait d’ailleurs confié à La Liberté : « Il y a un grand manque d’aide auprès de petits, alors je ferai de l’enseignement bénévole, en aidant les enfants à lire et à chanter en grec. » L’enseignement, encore et toujours.

C’est ensuite à Ottawa qu’elle s’est finalement installée pour être plus proche de sa famille.

Une inspiration

Sa fierté, comme elle l’expliquait en 2015 dans La Liberté, c’était de voir ses élèves grandir et s’accomplir. « En fait, quand je songe à tous ces anciens élèves qui font maintenant du théâtre, du journalisme ou qui m’ont succédé dans la salle de classe, voilà ma récompense. »

François Beaudette a été l’un de ces anciens élèves, qui en grandissant, a mesuré l’impact qu’a eu Lefco Doche sur lui. Alors qu’il a publié son premier roman il y a quelques mois, il parle, avec émotions, du lien qu’il avait avec son enseignante, qui avait accepté de réviser son manuscrit avant publication.

« C’était une enseignante intense », lance-t-il.

« Elle était passionnée, elle exigeait l’excellence de tous ses élèves. Elle était militante dans son enseignement, elle nous a poussés fort, mais nous a suivis tout au long du chemin. »

Lefco Doche croyait en lui et le poussait à atteindre ses objectifs.

« Avec mon livre, elle est redevenue mon enseignante! C’était il y a quelques mois à peine. Elle m’a tout renvoyé, elle a remis des choses en question, mais me faisait confiance. »

Lefco Doche a aussi aidé sa fille dans le lancement de sa carrière en tant qu’enseignante. Christina Doche en dit plus sur ce sentiment de fierté que l’on peut avoir comme enseignant, alors que sa mère recevait régulièrement des lettres d’anciens élèves lui disant l’importance qu’elle a pu avoir dans leur propre parcours.

« Il y a des gens qui étaient inspirés par elle et qui sont devenus enseignants. Ils appliquent même certains des enseignements qu’ils ont appris avec ma mère. Il y a aussi des personnes qui élèvent leurs enfants en français. Et même si elles vivent dans une famille exogame, elles amènent leurs enfants à la DSFM. Ça, je pense, ça a été une très grande fierté pour elle. »

(1) Cette anecdote et plusieurs autres sur son parcours personnel et professionnel sont racontées dans un grand entretien réalisé par Bernard Bocquel en décembre 2019. Il est aussi à retrouver en intégralité sur notre site web.