Du Cameroun au Manitoba, en passant par le Québec, la raconteuse d’histoire partage la sienne, espérant inspirer du monde à écouter sa voix intérieure.
L’ histoire d’Alice commence à Douala, au Cameroun, où elle est née et a grandi. Deuxième enfant d’une fratrie de six, et la première fille, elle a très tôt ressenti la pression d’être la sœur aînée.
« Je viens d’une famille très traditionnelle. Cette pression, elle est encore plus forte quand tu es une fille. Tu dois être un bon exemple pour les petits frères et sœurs. J’avais alors la pression de faire les bons choix. »
Les « bons choix », c’est tout d’abord aller à l’université, car l’éducation est une valeur primordiale pour Alice et sa famille.
« Mes parents nous ont toujours dit : N’attendez rien de nous quand on sera partis. Notre héritage, c’est votre éducation. Ils voulaient nous donner le plus d’opportunités possible et, comme ils pouvaient se le permettre, l’étranger était la meilleure option. Faire ses études au Cameroun, déjà à l’époque, c’était difficile. Aujourd’hui, c’est bien pire. Il y a beaucoup de problèmes d’infrastructures, de système. Ça fait des diplômés très résilients, mais c’est très dur. »
C’est ainsi qu’Alice quitte le Cameroun en 1998, à 17 ans, pour poursuivre des études en comptabilité à l’Université de Montréal, puis à HEC Montréal, dont elle obtiendra un bac en administration des affaires. Encore une fois, c’était le « bon choix ». Même s’il n’y avait aucune passion.
« J’ai toujours été guidée par le sens du devoir. Dans ma famille, on ne fait pas un métier par passion, mais plutôt pour être utile. D’ailleurs, le plan était que je revienne au Cameroun avec mon diplôme, et que je reprenne les affaires de mon père. »
En effet, son père, ingénieur de formation, est un entrepreneur à succès. Un modèle pour Alice.
« Petite, je voulais être journaliste. Mon père m’a dit non. On fait ça si on n’est pas bon en mathématiques ou en sciences. C’est quelqu’un qui a réussi, beaucoup de gens l’admirent. Alors je me disais : S’il me dit que ce n’est pas une bonne idée, ça a du bon sens. Il doit avoir raison. »
Pourtant, déjà enfant, Alice était attirée par les histoires.
« J’ai appris la vie à travers les documentaires et la télé. Vraiment, je pense que ça a fait la moitié de mon éducation. Au Québec, cette passion s’est encore plus développée. Je suis une grande fan de la télé et du cinéma québécois. »
Bien que la voix intérieure d’Alice tente de laisser des indices, le sens du devoir prend le dessus. Alice trouve un travail en comptabilité et choisit la sécurité.
Un mariage imposé
La pression culmine avec un mariage arrangé, un choix qu’elle a accepté, là encore, par devoir.
« Au Cameroun, quand tu gradues, l’étape d’après, c’est le mariage et les enfants. C’est très important, surtout quand on est une fille. Je ressentais une grosse pression. C’était très difficile. Mais encore une fois, je me disais : Mes parents ont bien réussi, ils doivent avoir raison. Même s’il y avait cette petite voix qui me disait : Alice, ce n’est pas une bonne idée. Mais je n’ai pas voulu l’écouter. »
Elle épouse alors un médecin et, par « chance », il a le projet de faire sa spécialisation au Canada.
« C’est grâce à lui et ce mariage, si je peux dire, que je suis au Manitoba, depuis 2009. C’est chez moi, j’adore le Manitoba. Quand je vais au Cameroun, après deux semaines, je m’ennuie d’ici. »
Après la naissance de ses deux enfants, Alice a alors « coché toutes les cases ». Mais les choses ne vont pas bien avec son mari.
« Je n’étais vraiment pas heureuse. Je me sentais comme prise au piège. L’échec n’était pas une option. J’allais décevoir mes parents… Mais à un moment donné, c’est devenu une question de survie. Il fallait que je quitte ce mariage, sinon je me laissais mourir. »
Le divorce d’Alice marque un tournant. Cette période, qu’elle décrit comme une « crise identitaire », la plonge dans une dépression.
« Je me suis sentie comme un gros échec. Je ne répondais plus au téléphone. J’avais peur de parler à ma famille, parce que tout le monde avait toujours été si fier de moi. Alice a toujours fait ce qu’il fallait. Là, je m’occupais juste de mes enfants. J’étais en mode survie, pour eux. Mes enfants m’ont sauvée. Petit à petit, j’ai compris qu’il fallait que je m’occupe de moi aussi. »
C’est dans cette période difficile qu’elle commence à se reconstruire. Les pièces de son puzzle de vie s’assemblent petit à petit. Une thérapie, une démission, une conversation avec son fils…
« Toutes ces petites choses m’ont fait prendre une pause et vraiment me poser la question : Qu’est-ce que je veux faire? »
Quand Alice sort de la chrysalide
Elle s’inscrit alors à l’Université du Manitoba pour étudier la littérature, puis le cinéma.
« Et là, je revis! Pour la première fois, je faisais quelque chose que j’aimais vraiment. C’était tellement rafraichissant. Je ne pensais pas qu’on pouvait autant aimer l’école! Je ne voulais rien manquer. Et je me suis souvenue de mon rêve d’enfance. Ce n’était pas tant être journaliste, c’était raconter des histoires! »
Une fois son diplôme de Film Studies en poche, Alice Teufack devient productrice de films.
« Je me vois comme une facilitatrice des arts et des artistes. Je m’occupe des budgets et des formulaires, pour qu’ils puissent se concentrer sur leur art. Mon but est de les aider à raconter leurs histoires. Et il n’y a pas un jour où et je me lève et je n’ai pas envie de travailler. C’est fantastique. »
Aujourd’hui, Alice est heureuse, et ses enfants de 17 et 19 ans aussi.
« Un jour, mes enfants m’ont dit : Maman, tu n’es plus la même personne. J’ai pleuré. Ils ont vu que je m’étais trouvée. J’ai réalisé que j’avais toujours fait ce que les autres attendaient de moi. Mais il n’y a rien de plus précieux que de se connaître, s’écouter, se trouver et faire ce qu’on aime. »
Et sa famille au Cameroun? « Ils sont très fiers et heureux de qui je suis devenue. Je pense que ça a changé la perspective de beaucoup de gens dans ma famille. Ils voient comme je suis passionnée et ils trouvent ça beau.
« J’espère que mon histoire peut donner la motivation aux gens de suivre leur instinct. Aujourd’hui, je dis à mes enfants : Fais ce que tu veux. Et si tu n’es pas sûr de ce que tu veux, fais quelque chose que tu aimes, et tu vas trouver ta voie. C’est si important. Écoutez cette voix intérieure et suivez vos rêves. »