Né en Côte d’Ivoire dans une famille de diplomates, Daouda Dembélé a grandi entre son pays de naissance et de nombreux autres pays, notamment l’Égypte et Israël. Mais après avoir rencontré des Manitobains alors qu’il travaillait un été à la frontière de ces deux pays, c’est à Winnipeg qu’il a décidé, à 19 ans, de poser ses valises. C’était en 1993.
« Je venais pour faire mes études au Collège universitaire de Saint-Boniface (CUSB), aujourd’hui Université de Saint-Boniface (USB), puis retourner chez moi. Mais quand j’ai découvert la communauté ici, j’ai vu qu’il y avait des choses que je pouvais amener pour contribuer à valoriser la francophonie. »
Daouda Dembélé est alors le premier ressortissant ivoirien à s’installer à Winnipeg. Il s’est vite rapproché d’autres personnes noires, dont le Sénégalais Ibrahima Diallo et le Malien Amadou Cissé.
« J’aimais ma nouvelle communauté. On faisait souvent des petites réunions entre nous pour se demander ce qu’on pouvait apporter à la communauté pour que la francophonie reste vive. C’était au moment de la création de la Division scolaire franco-manitobaine. »
La passion du théâtre
C’est finalement sur les planches, entre autres, que Daouda Dembélé a apporté sa touche personnelle à la communauté francophone qui l’accueillait. Avant même son immigration, il avait fait partie d’une troupe de théâtre malienne en Égypte.
« On raconte que quand j’étais petit, je disais à mes parents que je n’avais pas besoin d’argent de poche. Mais sur la route de l’école, j’amassais de l’argent en chantant pour les gens ou en faisant des petits trucs qui les faisaient rire! La scène, c’était naturel. »
Arrivé à Saint-Boniface, c’est d’abord aux Chiens de soleil, la troupe de l’USB, qu’il s’illustre.
« À l’époque, Louis St-Cyr s’occupait du programme artistique au CUSB et un an avant mon arrivée, un groupe de jeunes étudiants majoritairement issus de l’immigration avaient produit la première pièce du CUSB : Blanchir, noircir ou aimer. L’idée était de montrer d’autres cultures à la communauté, créer une ouverture.
« Et donc quand je suis arrivé, on s’est retrouvé à sept ou huit et on avait des ambitions. Ensemble, on est allé voir Louis St-Cyr pour lui dire qu’on voulait offrir du théâtre africain. C’était nouveau au Manitoba. Notre première pièce a été Le sorcier africain. »
Daouda Dembélé développe au sujet de l’approche théâtrale africaine : « En Afrique, que ce soit le public, les comédiens, les metteurs en scène, les gens en coulisses, quand on fait une pièce de théâtre, tout le monde participe. C’est très inclusif, très animé. On sort physiquement de la scène, on joue parmi les gens, on est vraiment en contact avec eux. Alors que dans la tradition occidentale, aller au théâtre, c’est un peu comme regarder la télévision. Tout se passe dans un espace bien défini et à distance.
« De plus, le théâtre africain n’est pas vraiment basé sur le texte, plutôt sur le jeu, le sous-texte. Le texte est là, mais on s’adapte avant tout aux réactions du public. On joue avec ça. C’est ça, l’art noir. Et c’est culturel : on n’a pas pu harmoniser notre langage, alors pour mieux se comprendre, on a développé notre compréhension des non-dits. »
Qu’en a pensé la communauté francophone, en particulier celle du théâtre, dans les années 1990?
« Roland Mahé, alors le directeur artistique du Théâtre Cercle Molière (TCM), m’a toujours soutenu. Il venait à toutes mes pièces! Plusieurs comédiens et comédiennes du TCM venaient voir nos pièces. »
Mais pour ce qui est du public du TCM, « je ne sais pas s’il était prêt à ce qu’on aille jouer nos pièces là-bas. Il aimait le théâtre plus classique. Nous, avec tout ce qu’on faisait autour de la pièce, tout ce bruit, ça pouvait déranger ».
Jusqu’à une collaboration en 1997 avec Geneviève Pelletier, qui a été directrice générale et artistique du TCM jusqu’au 31 juillet dernier.
« C’est la première personne d’ici à avoir collaboré avec moi et ma façon de faire sur scène, dans la pièce Antigone qu’elle montait sur les planches du CUSB. Je jouais le rôle du garde d’Antigone, et Geneviève m’a laissé complètement libre d’y apporter mon approche.
« Comme son public, c’étaient les Franco-Manitobains, ça a ouvert un peu la porte. Après ça, les gens étaient plus curieux de voir ce que faisaient les Daoudas! »
Par ailleurs, Daouda Dembélé a commencé au Manitoba à écrire ses propres pièces.
« J’ai été formé par des auteur.e.s tels que Lise Gaboury-Diallo ou encore Rhéal Cenerini. J’ai notamment écrit une pièce, Rolihlahla Mandela, sur la vie de Nelson Mandela et le soutien du Canada, premier pays à avoir sanctionné l’Apartheid dans les années 1980. La pièce a été jouée à l’USB en 2014. Fait intéressant : Nelson Mandela est décédé alors qu’on répétait la pièce! »
Une autre de ses pièces, Cours d’histoire, a été jouée au TCM dans le cadre d’un marathon de mises en scène.
Un formateur
En plus d’écrire et de jouer sur les scènes des Chiens de soleil puis du TCM à partir de 2006, Daouda Dembélé a aussi formé beaucoup de jeunes francophones du Manitoba en théâtre, entre autres la comédienne Alison Palmer qui a plus tard joué et travaillé pour le TCM.
« J’étais allé la chercher au secondaire, en 11e ou 12e année. J’ai aussi eu l’occasion de faire jouer Philippe Bellefeuille, Paul Lachance, Marie-Claude McDonald… »
En 2008, il a également participé à la création d’une troupe de théâtre multiculturelle : la Troupe ambigüe du Manitoba. « C’était un travail d’équipe, avec notamment Ben Maréga, Papa Ndiaye et mon fils, Lacina Dembélé.
« L’idée, c’était de jouer des pièces avec une approche africaine. Par exemple, on pouvait prendre une pièce de Molière et se dire Si cette pièce s’était retrouvée dans un milieu africain, comment aurait-elle été interprétée? Ça permettait aussi de montrer des petits trucs culturels de chez nous, des façons de faire que les gens d’ici ne comprenaient pas toujours. Le théâtre, c’est bon aussi pour mieux préparer à l’accueil en mon- trant et expliquant certaines choses. »
La Troupe ambigüe du Manitoba a aussi joué des pièces de Daouda Dembélé lui-même, comme Kalifa l’immigrant, ou encore des adaptations de pièces africaines dans un contexte manitobain, comme L’amitié.
« Et la troupe est restée active de 2008 à 2014. On a dû faire quatre ou cinq pièces, puis je l’ai mise en pause. Mais elle existe encore. Mon fils Lacina, qui est lui aussi comédien, dramaturge et musicien, s’en sert souvent pour ses projets. »
Créer des liens
Aujourd’hui, Daouda Dembélé, qui s’est accompli à Winnipeg en tant que qu’homme de théâtre, mais aussi entrepreneur – il a été propriétaire de plusieurs stations-services et dépanneurs – a « amorcé un retour en Côte d’Ivoire », comme il l’exprime lui-même.
Depuis 2017, il vit principalement à Abidjan, où il a fondé un collège d’éducation générale de la 6e à la 12e année.
« Parce que dans ma culture, un immigrant, c’est comme un prêt. Le pays d’origine prête son enfant à un autre pays, mais il y a toujours un retour. C’est d’ailleurs le sujet de ma pièce Kalifa l’immigrant. »
Mais là encore, son empreinte sur le théâtre et sur les jeunes, et les liens qu’il tisse entre toutes et tous, continuent de se faire sentir. Dans son collège d’Abidjan en effet, avec l’appui du TCM, il a créé un programme de dramaturgie.
Et depuis 2022, il emmène chaque année ses élèves participer au Festival Théâtre Jeunesse (FTJ) à Saint-Boniface et visiter la francophonie manitobaine.
« C’est un peu avec moi que le FTJ a commencé à s’internationaliser, se réjouit-il Aujourd’hui, je sais qu’une école en Guinée est aussi intéressée. »
Il travaille également à mettre sur pied un programme d’échange d’élèves à l’année entre la DSFM et son collège d’Abidjan.
Et côté théâtre?
« Aujourd’hui, je contribue plutôt du côté mise en scène, termine-t-il. Lacina me consulte souvent pour ses pièces. La dernière fois que je suis monté sur scène, c’était en 2018 pour la pièce 1818. Mais je retournerai sur les planches dès que j’aurai un peu plus de temps. »