Par Marie WIELGOCKI – collaboration spéciale.
Face à une pénurie critique de personnels soignants au Manitoba, l’immigration qualifiée apparaît comme une solution pour répondre aux besoins du système de santé et favoriser une meilleure représentativité linguistique et culturelle des patients.
D’après l’organisme indépendant Effectif de la santé Canada, au Manitoba, environ 3 000 postes de personnels soignants étaient vacants en 2023.
L’année dernière, le Syndicat des employés généraux et des fonctionnaires du Manitoba (MGEU) faisait état de 40 % de postes à pourvoir dans certains établissements du rural, qualifiant cette situation de « dangereuse ».
Pourtant, en 2024, le Manitoba a accueilli un nombre record de 9 540 nouveaux immigrants dans le cadre de son programme d’accueil provincial.
Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels sur la part des personnels soignants parmi les immigrés arrivés dans la Province, leur proportion au Canada est estimée entre 23 % et 40 %.
Pour Jérémie Roberge, directeur général de Santé en Français, les personnels soignants immigrants pour-raient répondre à l’enjeu du manque de personnel.
« Cette immigration peut contribuer à atténuer la pénurie de main d’œuvre que nous vivons, et pourrait aussi répondre mieux aux besoins des différentes communautés au sein des institutions publiques. »
Un atout linguistique et culturel
Pour Kouassi N’dia, le coordonnateur du Centre de santé de Saint-Boniface, au-delà de la réponse à l’enjeu de pénurie, il s’agit d’un enjeu linguistique et culturel.
« Dans le système de santé manitobain, les francophones sont largement minoritaires et je pense qu’il est important pour les patients que les choses soient rééquilibrées. »
Pour lui, régler cette question d’équilibre est très important.
« Ce serait le point de départ pour une réelle ouverture vers l’immigration et vers de potentielles solutions pour répondre aux besoins de tous les patients. Actuellement, plus on a de personnels bilingues, mieux c’est. »
Le directeur général de Santé en Français, Jérémie Roberge, est tout à fait d’accord avec cette idée.
« Avec la question des langues officielles, les politiques et les institutions sont responsables d’offrir des services en français. Et accueillir l’immigration francophone permet, d’une part, de répondre à ces obligations, et d’autre part, de fournir des services culturellement adaptés aux patients immigrés francophones, qui sont nombreux. »
Pour le directeur général, faciliter l’accueil des personnels soignants immigrés est « une logique gagnante qui permettrait l’inclusion et la diversité, reflétant ainsi toutes les communautés. »
En ce sens, il considère que cette logique permettrait à terme de faire diminuer les barrières linguistiques et culturelles.
« Et cette meilleure accessibilité pourra faire gagner en coût, en efficacité, et même en administration de traite-ment », affirme-t-il.
L’enjeu de la reconnaissance des diplômes
Pour Kouassi N’dia, l’immigration est un réel atout pour le domaine de la santé. Mais les immigrés sont aujourd’hui confrontés à « de trop nombreuses difficultés », constate-t-il.
« Il y a énormément d’immigrés qualifiés en santé qui font face autant à des démarches administratives très difficiles, qu’à des délai interminables. »
Au Manitoba, pour exercer, les personnels soignants immigrés doivent, après avoir fait reconnaître leurs diplômes, systématiquement valider leurs acquis dans le cadre d’examens et de programmes canadiens et, ou, provinciaux.
« Il arrive que les exigences des ordres professionnels équivaut à refaire tout son cursus », souligne Jérémie Roberge.
Alors pour simplement gagner leur vie, les immigrés qualifiés en santé se retrouvent à devoir changer de profession. Mais certains souhaitent malgré tout persister dans le secteur de la santé.
« Certains infirmiers ou médecins se retrouvent à des postes dans les ressources humaines par exemple. »
« Chaque année nous accueillons toujours plus d’immigrés, alors il faudrait être en capacité de répondre à cette demande et donc de permettre aux personnels soignants d’être reconnus. Il ne faut pas perdre de vue que nous connaissons une pénurie de personnels actuellement », tient à rappeler Kouassi N’dia.
Pour lui, ce problème est bien loin d’être inhérent au Manitoba.
« Ça en va du système canadien de manière générale, le problème de la non-reconnaissance des acquis est une réalité dans toutes les provinces. »
Le « choc migratoire »
Mais lorsque les personnels soignants arrivent au Canada et qu’ils se lancent dans la reconnaissance de leur diplôme, ils sont souvent confrontés à une réalité à laquelle ils ne s’attendaient pas.
« Il y a souvent des tests de pratique en anglais, avec des terminologies scientifiques anglaises qui peuvent en perdre certains », souligne le directeur général de Santé en Français.
En arrivant sur le territoire, certains immigrés font face à ce qu’on appelle un Choc migratoire.
« C’est un traumatisme qui relève autant du choc culturel que de la réalité et de l’état du monde du travail. Beaucoup d’immigrés partent avec les mauvaises informations, notamment sur leurs possibilités de pratiquer la médecine, et ne se rendent pas compte de la difficulté qu’ils connaîtront en arrivant. »
Pour Jérémie Roberge, c’est une question de réponse gouvernementale.
« Tant que les gouvernements fédéral et provincial ne mettront pas en place de nouvelles mesures pour faciliter la reconnaissance des diplômes, l’intégration de ces soignants ne pourra pas s’améliorer. »
Il tient néanmoins à souligner l’existence de discussions avec les décideurs autour de ce sujet.
« Il y a une très belle écoute de la part de la Province, mais ça ne veut pas dire que c’est gagné, ce n’est qu’un début. »
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