Du 27 septembre au 10 octobre, le campus de l’Université du Manitoba et plus précisément le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) ont accueilli les professeurs Emma-Jaye Gavin et Andrew Gunstone du National Centre for Reconciliation, Truth and Justice (NCRTJ) d’Australie.
Dre Emma-Jaye Gavin est une femme autochtone Garrwa originaire du Territoire du Nord en Australie, elle est professeure en recherche sur la Vérité et la Réconciliation autochtones.
Dr Andrew Gunstone quant à lui est vice-recteur adjoint à la réconciliation.
De l’Australie à Winnipeg, le chemin est long, mais leur visite tombe finalement sous le sens.
L’Australie et le Canada partagent une histoire de colonisation similaire.
Des similarités
Aujourd’hui, les deux pays mènent un combat de longue haleine pour la vérité et la réconciliation.
Sous bien des aspects, la lutte en Océanie ressemble à celle qui se joue ici.
L’on cherche à éduquer, créer un environnement social équitable pour les personnes issues des Premières Nations et bien sûr combattre le racisme systémique, encore trop important.
Lors d’une conférence tenue le 8 octobre intitulée Reconciliation, Truth and Justice in Australia, Emma-Jaye Gavin, en donnait un exemple criant.
En 2024, un homme de 24 ans renverse avec sa voiture deux hommes autochtones sur les routes australiennes.
Il tue l’un d’entre eux, l’autre est hospitalisé.
Par message texte, le chauffard Jake Danby se vante de son crime auprès de ses amis. Il ne fera pas de prison.
En revanche, et c’est ce que souligne Emma-Jaye Gavin, les choses auraient été bien différentes si Jake Danby avait été autochtone.
Elle explique que le système de justice australien tient des dossiers sur les personnes autochtones et que leur traitement est complètement différent.
Dès lors qu’une personne autochtone commet une infraction et voit ouvrir un casier judiciaire à son nom, elle fera un an de prison si elle récidive.
« Peu importe la nature de l’infraction. L’on a eu l’exemple de jeunes hommes qui avaient volé un paquet de chips à l’épicerie et qui ont fait un an de prison pour ça. »
Un autre exemple frappant de la disparité entre les citoyens autochtones et le reste de la population réside dans l’espérance de vie.
Réconciliation
Selon les données les plus récentes de l’Organisation mondiale de la santé qui datent de 2021, le Lesotho est le pays où l’espérance de vie à la naissance est le plus bas, il est estimé à 51 ans.
La même année, en Australie, l’espérance de vie moyenne pour les personnes autochtones était comprise entre 71 et 75 ans.
Soit environ dix ans de moins que pour les personnes non autochtones.
La Dre Emma-Jaye Gavin précisait toutefois qu’en fonction des régions, les chiffres pouvaient varier, souvent à la baisse.
La conférence aura notamment permis de mettre en lumière les différences entre les mouvements de réconciliation des deux pays et de partager les connaissances.
Une initiative importante qui a vu le jour sous l’impulsion des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. C’est ce qu’explique Raymond Frogner, directeur des archives du CNVR.
« L’appel à l’action numéro 65 demande au Conseil de recherches en sciences humaines d’explorer des moyens d’intégrer les différentes méthodes et modèles de connaissances autochtones dans la recherche menée au sein des communautés. L’objectif est de déconstruire le modèle universitaire traditionnel de production et de partage des connaissances pour ramener ces savoirs vers les communautés autochtones, là où ils peuvent être réellement utiles. »
Partager le savoir
Le partage de savoir à l’international sert donc directement aux communautés, mais aussi directement les institutions qui œuvrent à la réconciliation. C’est ce que précise Emma-Jaye Gavin.
« On peut s’inspirer des modèles mis en place dans différents pays. Nous avons étudié toutes les commissions existantes, retenu ce qui fonctionnait et créé quelque chose d’adapté spécifiquement à l’Australie. Nous ne partons donc pas de zéro. »
Et, plus largement, les savoirs autochtones sont également précieux pour les gouvernements et les pays eux-mêmes.
La professeure prend notamment l’exemple de la gestion des incendies.
« En Australie, la gestion du feu (ou fire farming) est une pratique culturelle qui existe depuis des dizaines de milliers d’années. Elle sert à cultiver et à contrôler la terre, à favoriser la régénération et à créer des zones propices à la chasse.
« Dans les États d’Australie où cette gestion du feu n’est plus entre les mains des Premières Nations, on observe des incendies dévastateurs et incontrôlés. Ce type de synergie entre les pays permet de comprendre qu’il existe une vision coloniale de l’agriculture, du feu et de la façon d’agir après un incendie. Alors que les savoirs autochtones, eux, savent exactement comment prendre soin de la terre après un feu et comment utiliser le feu comme un outil. Ensemble, l’on peut amplifier nos voix et inciter les gouvernements occidentaux à écouter nos savoirs. »
Engagement politique
L’une des grandes différences que la présentation a permis de mettre en exergue, c’est l’absence d’un engagement politique structuré en Australie.
Les initiatives de réconciliation, là-bas, dépendent généralement des États, ou proviennent de la communauté.
Pour les chercheurs, c’est clair, la solution réside dans un changement structurel profond.
Mais de nombreux obstacles subsistent.
Andrew Gunstone mentionne le négationnisme par exemple. Un phénomène qui existe aussi au Canada.
« Chaque pays a ses propres défis et réussites. Nous devons apprendre les uns des autres. Par rapport au négationnisme, nous sommes curieux de voir quelles stratégies sont utilisées ici afin de pouvoir les appliquer chez nous. »
L’inverse fonctionne également. Pour lutter contre le négationnisme, l’éducation reste la meilleure arme.
Raymond Frogner indique par exemple que le CNVR aimerait s’inspirer de l’utilisation des multimédias dont fait montre le NCRTJ.
« C’est un domaine dans lequel nous souhaiterions nous investir davantage. Nous sommes intéressés d’en apprendre plus sur la façon dont ils utilisent le film afin de nous en inspirer et développer cette approche chez nous. »
Si de nombreux moyens existent pour servir à l’éducation du public aux sujets autochtones, le plus important reste le système éducatif.
Des défis
Et cela fait là encore partie des grands défis auxquels l’Australie doit faire face.
« Afin d’obtenir les changements nécessaires, il faut que la population soit éduquée », explique Andrew Gunstone qui regrette que les curriculums australiens ne s’intéressent que très peu à l’histoire coloniale et à ses conséquences qui perdurent.
Il rappelle qu’en octobre 2023, son pays votait pour un referendum qui devait permettre l’implémentation d’une voix autochtone au sein du Parlement australien.
Le pays à voter contre, à 60 %. « 30 % des Australiens ne savent pas que l’on a une Constitution.
Un tiers des Australiens ne croit pas qu’il existe des inégalités entre Autochtones et non-Autochtones.
Et tout cela est dû à une immense lacune dans notre système éducatif. »
Là-dessus, Emma-Jaye Gavin rebondit en soulignant que le travail est en cours, mais que le processus est long.
« En attendant que cela change, nous créons une génération d’Australiens qui ignorent les réalités du pays et qui adhère à la notion selon laquelle, la situation des personnes autochtones est la conséquence de leurs choix. »
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté