Pour certains, comme le Centre for Indigenous Environmental Resources, l’eau au Manitoba, les fleuves et les lacs, sont les objets d’un combat pour une gouvernance, dite plus juste et partagée.
Depuis 2018, la Décennie d’action pour l’eau, décrétée par les Nations-Unies, nous rappelle à la fois l’urgence et la fragilité de notre rapport à l’eau.
Dans le contexte du Manitoba, ce lien s’articule aussi autour des enjeux de gouvernance partagée, d’accès à l’eau potable et de respect des traditions autochtones, qui considèrent l’eau comme sacrée à bien des égards.
Shianne McKay travaille au Centre for Indigenous Environmental Resources (CIER) depuis 2009.
Le 16 octobre 2025, elle a été nommée co-directrice exécutive de l’organisme, où elle œuvre à renforcer la gouvernance environnementale autochtone à travers le pays.

Selon la nouvelle co-directrice, nombreuses sont les menaces qui pèsent sur le Manitoba, à savoir la surconsommation, la pression agricole, les barrages hydroélectriques, les méga-fermes voisines, le ruissellement de phosphore ou encore la multiplication des algues bleu-vertes.
Dans la vision autochtone, « l’eau est autant sacrée et essentielle que peut l’être le sang pour la vie », nous rappelle Shianne McKay. Elle ajoute que, dans cette perspective, l’eau est perçue comme vivante, et vue « au même titre qu’un membre de la famille ».
Ainsi, les femmes notamment, entretiennent une relation particulière, voire plus profonde avec l’eau : « Nous naissons de l’eau, les femmes, elles, entretiennent un lien fort avec l’eau, à travers leurs cycles menstruels, la lune et le rythme des marées ».
Des missions
Depuis plus de 30 ans, le CIER cherche à « renforcer les capacités des personnes à comprendre la place significative de l’eau dans nos vies en éduquant, en menant des recherches, et en développant des compétences chez les personnes afin d’aider les peuples autochtones à atteindre leurs objectifs », explique Shianne McKay.
L’organisation travaille essentiellement avec des communautés des Premières Nations, métisses et inuites à travers le Canada.
« Nous menons également des projets à l’international, avec plusieurs pays. Par exemple, nous recevons désormais des financements des États-Unis, mais nous n’avons aucun projet en cours avec eux. »
Faute de moyens sur le long terme, l’organisation fait face à de nombreux défis pour mener à bien leurs programmes.
En ce sens, comme le précise Shianne McKay, l’organisme « fonctionne dans une logique qui va de projet en projet » et survit en partie grâce aux donations.
« Ce que nous recherchons avant tout, c’est un financement durable. Idéalement, ce que nous recherchons ce sont des financements pluri-annuels, d’au moins deux à trois ans. »
En dépit de cela, le CIER multiplie les initiatives, avec entre autres des formations, et même une application mobile de surveillance communautaire.
Cette application est disponible uniquement par le biais du CIER et a pour but de permettre le recueil de données sur la qualité de l’eau ou sur l’habitat aquatique.
« Nous avons un logiciel et une application de suivi communautaire, cela permet aux communautés de collecter et d’enregistrer facilement leurs données. »
En collaboration avec la Première Nation Ojibwe de Sandy Bay, située près du lac Manitoba, le CIER mène actuellement un projet de plan de résilience de l’eau qui vise à soutenir la gestion durable de l’eau, et à renforcer les capacités locales face aux changements environnementaux.
Pour l’organisme, il est essentiel de veiller à ce que les voix autochtones soient entendues sur « les enjeux qui leur sont propres, afin qu’elles puissent exprimer leurs préoccupations, chercher les ressources nécessaires, acquérir des connaissances et avoir accès aux soutiens dont elles ont besoin », insiste Shianne McKay.
Collaborer
Le Collaborative Leadership Initiative, l’un des grands projets du CIER, incarne une volonté de dialogue entre les communautés manitobaines.
Ce projet réunit des chefs autochtones et des maires pour échanger sur leurs préoccupations communes.
Comme le dit Shianne McKay, le but est de chercher « à établir une relation de confiance, à travailler ensemble sur des projets pour apporter des changements positifs qui seront bénéfiques à toutes les communautés ».
La création de l’Agence de l’eau du Canada, un nouvel organisme fédéral chargé de coordonner la gestion de l’eau douce à l’échelle du pays, a fait fleurir des initiatives communes.
En octobre 2024, l’Agence présente son projet de cercle communautaire autochtone de l’eau. Le projet est conçu comme un espace de dialogue entre aînés et plus jeunes.
Dans son rapport de 2024, le ministère de l’Environnement et du Changement climatique pour le gouvernement fédéral mettait de l’avant la création de l’Agence de l’eau du Canada et insistait sur la nécessité d’une approche collaborative, fondée sur les partenariats avec les communautés et les peuples autochtones.
Cette Agence était décrite comme futur cheffe de file « dans la gestion et l’intendance de l’eau au Canada, dans le bien-être environnemental, social, économique et spirituel des générations futures ».
Alors que la révision du Canada Water Act, adoptée en 1970, est prévue pour 2025, l’objectif est à la fois de moderniser la loi, et d’y intégrer des principes de gouvernance partagée avec les Premières Nations.
À ce sujet, Shianne McKay souligne le rôle que le CIER pourrait jouer en tant qu’allié pour « relier ces communautés », dit-elle.
Des défis présents
Comme le précise Shianne McKay, la situation peut être plus particulièrement compliquée pour certaines communautés.
« Certaines communautés plus éloignées et situées plus au nord sont touchées par les activités hydroélectriques. »
De plus, Shianne McKay évoque les communautés qui vivent près de sites industriels.
Certes, la pollution est parfois invisible, néanmoins elle menace l’équilibre de l’eau en créant davantage de « contamination de la terre, qui à son tour affecte les nappes phréatiques », rajoute-t-elle.
« Les principales menaces sont aussi les proliférations d’algues et les espèces envahissantes, comme les moules zébrées. Avec le réchauffement climatique, cet excès d’azote et de phosphore se réchauffe davantage, favorisant le développement des algues qui vont bloquer la lumière du soleil, empêcher la croissance de la végétation aquatique, et limiter ainsi la production d’oxygène dissous. »
D’après la nouvelle co-directrice, une autre préoccupation majeure, liée aux grands sites industriels, est « la mortalité massive de poissons, avec de véritables zones mortes où des poissons flottent à la surface, incapables de survivre à cause de la toxicité de l’eau ou du manque d’oxygène dissous dans l’eau ».
Depuis 2015, le gouvernement fédéral a levé environ 144 avis d’eau potable, indiquant le caractère contaminé de certaines eaux, mais 28 demeurent toujours en vigueur dans 26 communautés du pays, dont six au Manitoba réparties dans six communautés.
Lors d’une annonce gouvernementale sur les énergies renouvelables tenue le 17 octobre, le Ministre de l’Environnement et du Changement climatique au provincial, Mike Moyes insiste sur l’importance « d’une approche fondée sur la nature ».
Selon lui, « les zones humides et les tourbières jouent un rôle essentiel dans la réduction des nutriments qui se déversent dans nos bassins ».
Il ajoute que « ces espaces naturels contribuent à préserver la qualité de l’eau et à protéger nos écosystèmes ».
Interrogé par La Liberté, il a notamment mentionné que la province souhaite protéger 30 % du territoire d’ici 2030, en collaboration avec les Premières Nations, et qu’une attention particulière est portée à la santé du lac Winnipeg, évoquant « les méga-fermes laitières installées à proximité du bassin », une situation qu’il juge préoccupante : « Nous avons immédiatement collaboré avec le gouvernement fédéral et transmis le dossier à la Commission mixte internationale, qui l’examine actuellement », dévoile Mike Moyes ».
Au Manitoba, l’eau est à la fois un enjeu environnemental et un objet de résistance.
Pour Shianne McKay, « il s’agit de s’adapter et de veiller à ce que les voix des communautés autochtones soient entendues ».


