Par Lê Hai Huong Vu.
Les occasions de renforcer ce sentiment d’appartenance se sont plus rares après le secondaire. Pour garder plus de jeunes dans la communauté francophone, un changement systémique est nécessaire, croit William Burton.
William Burton est le fondateur de la maison de production Le Réveil. Il a remis en question la durabilité de la construction identitaire francophone lorsqu’il a annoncé la fin de son projet, le 28 septembre dernier, sur les réseaux sociaux.
Lancée en 2015, cette plateforme avait pour mission de promouvoir les arts et la culture francophone auprès des jeunes vivant en milieu minoritaire. Elle a permis la mise en place de nombreux projets dans les écoles de langue française.
« Les artistes, formateurs et organismes invités des écoles ne peuvent pas, seuls, bâtir une identité durable chez les jeunes », écrit William Burton.
Quand la fierté ne sort pas de l’école
Le chercheur à l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques de l’Université de Moncton, Sylvain St-Onge, constate que l’école est davantage perçue comme un « agent de régulation linguistique ». Elle demande aux élèves de parler en français et « désapprouve l’usage de l’anglais ».
En revanche, les activités culturelles parascolaires possèdent une puissance plus forte que l’enseignement structuré pour susciter la fierté et le sentiment d’appartenance, selon le chercheur. Ces activités permettent aux jeunes de constater que la francophonie est vivante en communauté et de vivre le français de façon immersive.
La limite principale de ce travail réside dans sa durabilité, a constaté William Burton. Il souligne que l’éveil n’est durable que si un écosystème permet de continuer à le développer.
Cette fierté identitaire risque de s’éteindre une fois à la maison, prévient-il. Même si les activités existent en ce moment en milieu scolaire, il y a peu ou pas de système pour les maintenir, voire les faire croitre au-delà de ce cadre.
Qu’est-ce que la construction identitaire?
Pour William Burton, la construction identitaire correspond à un éveil des jeunes à la culture, pour qu’ils trouvent leurs propres raisons d’être de fiers francophones en situation minoritaire. Cet éveil passe souvent par des activités organisées.
Pour sa part, l’Association canadienne d’éducation de langue française la définit comme « un processus hautement dynamique au cours duquel la personne se définit et se reconnait par sa façon de réfléchir, d’agir et de vouloir dans les contextes sociaux et les environnements dans lesquels elle évolue ».
Obstacles à la continuité
Pour Sylvain St-Onge et William Burton l’obstacle principal à la poursuite de la construction identitaire après le secondaire reste le manque de possibilités et d’espaces francophones pour les jeunes adultes.
Le chercheur explique que, pour les jeunes francophones hors Québec, les choix d’établissements postsecondaires francophones sont limités. Certains sont contraints à se tourner vers les collèges et les universités anglophones s’ils veulent rester près de chez eux.
Le fondateur du Réveil constate de son côté que les jeunes trouvent souvent des emplois dans des entreprises anglophones ou dans des domaines sans lien avec la francophonie.
La tâche du soutien identitaire retombe alors sur les épaules des organismes régionaux, les organisateurs de spectacles et les festivals. Leur priorité est « de fêter ensemble et de célébrer », sans nécessairement élaborer « un plan vraiment à long terme de construction identitaire », fait remarquer William Burton.
De plus, il a remarqué que les enseignants postsecondaires ou les agents de projet « à l’extérieur des conseils scolaires » ne connaissent pas toujours l’importance ni les mécanismes de la construction identitaire.
Sylvain St-Onge souligne l’importance de valoriser le français comme un atout économique et non comme une simple question identitaire pour encourager son utilisation hors des évènements culturels. Cela peut passer par le développement de réseaux d’entrepreneuriat francophone et le mentorat intergénérationnel, suggère-t-il.
Cependant, les projets entrepreneuriaux dépendent souvent des subventions, observe William Burton. « On est redevable envers les bailleurs de fonds », qui exigent toujours des chiffres et des résultats mesurables. Cela devient lourd et nuit à la durabilité, dit-il.
Pour passer au prochain niveau
Un travail pour connecter la construction identitaire à une plus large conscience collective est nécessaire, avance le professeur de sociologie à l’Université laurentienne, Rachid Bagaoui. Sans cette connexion, l’insatisfaction « restera simplement une frustration » et « ça va mourir ».
Dans sa publication sur la page Facebook du Réveil, William Burton plaide pour un changement systémique qui soutient davantage les francophones, afin de préserver la fierté, notamment en contexte minoritaire : « Le cœur du rêve […] demandait […] un changement plus grand, qui dépassait nos actions et relevait d’un mouvement collectif et systémique. »
D’ailleurs, à ses yeux, on doit voir la construction identitaire comme un investissement qui permet aux élèves de se préparer, après le secondaire, à intégrer une communauté francophone unie qui a besoin de tout le monde. Elle ne peut pas seulement « être une arme de recrutement et de rétention » pour les écoles.
Sylvain St-Onge suggère quant à lui de créer des programmes de leadeurship et des projets d’engagement social afin d’assurer la continuité identitaire après l’éducation. Ceux-ci pourraient être mis en place via des organismes comme la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), qui propose déjà le Parlement jeunesse du Canada.
La FJCF offre également du mentorat intergénérationnel et un soutien aux initiatives médiatiques faites par et pour les jeunes adultes francophones.


