Il soulève, malgré tout, la question de la responsabilité partagée et met en exergue quelques difficultés.
Le rapport annuel 2023-2024 sur les services en français de la province a été rendu public avec un retard considérable. Un peu trop tard pour être pertinent stratégiquement selon Derrek Bentley, président de la Société de la francophonie manitobaine.
« On sait qu’il y a eu beau- coup de changement structurel depuis, alors je ne remets pas en cause l’importance des rapports et je suis heureux qu’il ait été publié mais pour que ça soit utile, il faut qu’il le soit plus rapidement. »
Une publication plus rapide permettrait de faire des recommandations et suggérer des changements. La fin de l’exercice 2023-2024 a notamment vu l’élection d’un nouveau gouvernement, et une refonte du modèle de financement de l’Entente Canada-Manitoba.
Pour Teresa Collins, directrice générale du Secrétariat aux affaires francophones du Manitoba, de tels changements perturbent beaucoup l’administration des services en français.
« Si on change de ministère, on ajoute ou change des divisions, on change leur mandat. Il y a toutes sortes de choses qui se passent et ça crée de la confusion, il faut introduire de nouveaux programmes. La transition peut avoir des conséquences négatives d’un point de vue administratif. »
En ce qui a trait aux prochains rapports, Teresa Collins indique qu’ils devraient dorénavant être publiés de manière plus rapide soit 8 à 10 mois après la fin de l’exercice. La directrice générale estime cependant que le nouveau modèle de financement n’a pas eu d’impact, en tout cas pas sur l’exercice concerné.
« Les négociations ont pris fin et la nouvelle Entente a été signée au mois de mars, donc à la fin de l’exercice. On a convenu avec le gouvernement fédéral six mois additionnels pour dépenser l’argent supplémentaire reçu dans la nouvelle Entente. »
L’argent reçu en 2023-2024 a donc été dépensé au cours de l’exercice suivant 2024-2025. Il faudra donc attendre le prochain rapport pour voir les retombées de ces investissements.
Encore des défis
Le rapport met en exergue le besoin d’un changement d’approche pour débloquer la progression en matière de livraison de services en français au sein des différentes entités publiques.
Pour Derrek Bentley, le rapport est un peu préoccupant. Il fait mention notamment de l’échec de la mise en place de certaines mesures.
Le rapport indique ceci : « Les entités publiques ont déclaré n’avoir réalisé aucun progrès à l’égard de 60 % des mesures requises en matière de consultation. »
« Ce que je comprends c’est que dans ces plans-là, il y a des objectifs de consultations et qu’il n’y a pas eu de grands efforts à mettre en place ces consultations. »
Pour le président c’est clair, les mesures et normes organisationnelles doivent être pensées avec l’aide de la communauté.
Le rapport soulève lui aussi des difficultés à consulter la population francophone. Teresa Collins souligne que le gouvernement et les entités affiliées misent sur des consultations en ligne, des sondages.
« La difficulté que je trouve c’est qu’il ne suffit pas toujours de traduire les questions que l’on va poser à la majorité anglophone que l’on va avoir un sens des priorités de la communauté francophone. Parfois il vau- drait mieux créer un sondage à part pour mieux cerner les besoins spécifiques des francophones. »
Une autre difficulté mise en exergue et probablement le plus grand défi selon Teresa Collins, c’est la question du recrutement et de la rétention de personnel bilingue.
« C’est aussi un signe que le gouvernement doit faire mieux dans ses processus de recrutement afin de mieux viser les candidatures bilingues. »
Elle indique que ce travail se poursuit au cours des exercices suivants.
« J’espère que l’on verra du progrès. Je pense que l’un des plus gros problèmes au Manitoba c’est l’insécurité linguistique. L’immersion est toujours très populaire et le bassin est assez important. Souvent par la suite le choix d’éducation post-secondaire est en anglais et ils n’ont plus l’occasion de continuer à pratiquer le français. Lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail ils hésitent à se dire bilingues. Alors il faut réfléchir à mettre en place des initiatives au sein de la fonction publique pour les aider à retrouver le niveau de bilinguisme qu’ils avaient à l’école. »
L’on pourrait alors penser à la mise en place d’entente avec les universités anglophones.
Sur ce point, la directrice générale du Secrétariat aux affaires francophones indique que c’est un point qui reviendra dans le rapport sur les consultations pour une province véritablement bilingue qui devrait voir le jour au mois de mars 2026.
Justement, dans une optique de palier cela, la nouvelle Entente Canada-Manitoba mettait beaucoup l’accent sur l’allocation de fonds à des fins de formations linguistiques.
Une initiative « excellente », selon Derrek Bentley.
« Mais il est important que l’on souligne que ça ne peut pas être la seule solution. Il faut une stratégie à long terme pour avoir plus de gens bilingues dans la province. Il faut que l’on s’interroge sur le continuum en éducation, comment on peut s’assurer que n’importe qui au Manitoba ait l’occasion d’apprendre et utiliser les deux langues. »
En attendant du côté du gouvernement, on commence à mettre en œuvre différentes initiatives de formation.
« On progresse beaucoup en ce qui concerne la formation et l’appui de notre capacité bilingue. On a de plus en plus d’employés intéressés à suivre ces formations linguistiques. Et, on a aussi créé un programme de stage pour créer des postes d’été pour les analystes politiques bilingues. Ça permet aussi de démontrer qu’il y a la possibilité de travailler dans les deux langues au sein de la fonction publique. »
Une responsabilité partagée
Finalement, dans les conclusions du rapport, l’on peut lire le constat suivant :
« Il faut souligner que même lorsque des efforts sont déployés pour offrir des services en français et solliciter la collaboration de la communauté francophone, un certain nombre d’entités publiques arrivent mal à motiver les personnes d’expression française du Manitoba à demander des services en français ou à participer à certaines activités. »
La phrase s’accompagne d’un exemple.
Toujours selon le rapport, une Société d’État qui s’est efforcé d’appliquer le concept d’offre active n’aurait reçu que 53 demandes de service en français sur les milliers de clients qu’elle reçoit chaque année.
Il s’agit d’un exemple parmi plusieurs cités dans le rapport et qui semble faire valoir l’existence d’une responsabilité partagée entre le gouvernement et les membres de la communauté francophone.
Pour Teresa Collins, c’est un point important.
« L’offre active c’est lorsque le gouvernement ou un fournisseur de service démontre que l’on peut avoir des services en français. C’est créer un environnement où la personne peut se sentir à l’aise de demander un service en français. Je ne m’attends pas à ce que ce soit la seule responsabilité de la personne francophone de demander ce service, mais lorsqu’il est clair que l’on est dans un environnement bilingue, c’est dommage que plus de francophones n’en prennent pas compte. »
Pour le président de la Société de la francophonie manitobaine, l’argument est irrecevable.
« Il faut faire savoir aux Manitobain.e.s que ces services existent. Je connais beaucoup de personnes qui n’ont pas choisi le français sur leur carte de santé car ils imaginaient qu’ils auraient seulement accès à des soins de santé en français. Et ils disaient qu’ils ne voulaient pas attendre plus longtemps pour ça. On peut blâmer les francophones de ne pas choisir le français, ou, on peut prendre une approche différente et se demander comment on peut faire la promotion de l’importance de ce choix-là. »
D’expérience, les Franco-Manitobains font le choix de l’anglais par peur que leurs démarches ne prennent plus de temps que prévu, ou simplement par habitude car le service en français n’existait pas auparavant.
« Dans l’histoire du Manitoba il y a eu des progrès mais aussi de grands problèmes. Ça prend du temps de rétablir la confiance. On sait qu’au niveau fédéral, il doit y avoir des services en français à l’aéroport, mais sur le terrain ce n’est pas toujours vrai. Quand on continue d’avoir des expériences où le français ne fonctionne pas, c’est difficile de convaincre les gens d’essayer encore. Il faut se donner le temps pour que les mentalités changent. »
Teresa Collins ne remet d’ailleurs pas en cause cette réalité-là.
« Les francophones sont encore trop habitués à faire affaire en anglais. Mais on veut tous la même chose, on veut normaliser l’usage du français. Le gouvernement à l’obligation de s’assurer que le service existe et il faut que le français devienne une langue que l’on entend et voit dans la sphère publique et ça, c’est aux francophones aussi d’utiliser le français. Il y a beaucoup de travail de promotion à faire du côté gouvernement. »
Promouvoir la valeur de la langue autant que sa disponibilité.
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté




