S’inspirant des perspectives autochtones, le film Sewatsiwin, Ils sont sacrés (1) projeté le 4 décembre à l’Université de Saint-Boniface, invite à repenser l’autisme en mettant en valeur les forces et talents uniques de chaque enfant.
« Je me suis toujours demandé si tout l’argent que j’ai dépensé en thérapies privées pour mon fils Harry servait vraiment à son bien-être ou simplement à le rendre acceptable pour un système qui n’est pas fait pour la neurodiversité », confie Rachel Niziol, mère de deux enfants neurodivergents et enseignante aux services aux élèves à l’école George-McDowell.
Organisé par le Bureau d’éducation française (BEF), l’Université de Saint-Boniface a accueilli le 4 décembre la projection du film Sewatsiwin, ils sont sacrés, réalisé par Kim O’Bomsawin.
Rachel Niziol explique que le film Sewatsiwin, qu’elle avait déjà visionné en amont, l’a invitée à repenser la manière dont la société perçoit les enfants autistes, en mettant davantage l’accent sur leurs forces que sur leurs supposées lacunes.

Dans les communautés autochtones, les enfants autistes ne sont pas considérés comme des individus à corriger, mais comme des êtres porteurs de dons singuliers, capables de percevoir le monde autrement.
Cette expérience l’a conduite à revisiter non seulement le parcours de son fils Harry, mais aussi les attentes implicites de la société envers les enfants autistes, des attentes souvent façonnées par des systèmes qui valorisent la productivité plutôt que la diversité humaine. Dans Sewatsiwin, les enfants autistes ne sont jamais décrits comme des êtres déficitaires.
Au contraire, ils sont perçus comme porteurs de dons particuliers, avec une sensibilité qui ouvre des manières différentes d’habiter le monde.
Geneviève Roy-Wsiaki, professeure de psychologie à l’Université de Saint-Boniface considère qu’il y a de la beauté dans la perspective autochtone de l’autisme : « C’est même une connexion beaucoup plus forte au monde des esprits et il y a vraiment une beauté dans le fait que l’enfant soit capable d’être vraiment connecté au présent, à son environnement ».
Regarder autrement
Pour Rachel Niziol, qui nous invite à repenser chaque comportement comme étant une forme de communication, il devient alors crucial de reconsidérer la notion même de handicap : « L’autisme n’est pas un problème à corriger, mais une forme de diversité humaine, comme le genre ou l’origine ethnique ».
Sewatsiwin suit le Dr. Grant Bruno, de la nation Crie et professeur au département de pédiatrie à l’Université de l’Alberta. On y découvre son travail, sa communauté et la relation qu’il entretient avec son fils Anders, autiste.
À plusieurs reprises, le père d’Anders inscrit la stigmatisation de l’autisme dans un parallèle puissant. Il questionne ouvertement la volonté de corriger ou de réparer ces enfants : « Qu’essaie-t-on de guérir? C’est comme dans les pensionnats, on essayait de tuer l’Indien dans l’enfant, ici on essaye de tuer l’autisme dans l’enfant ».
Le message rejoint celui de Bobbie-Jo Leclair, éducatrice Nêhiyaw, qui insiste sur le contexte historique.
« On ne peut pas comprendre l’autisme dans nos communautés sans reconnaître comment les politiques coloniales ont façonné la manière dont nos enfants sont évalués et perçus », rappelle- t-elle.
Des obstacles systémiques
Au Manitoba, les défis restent considérables. Ben Adaman, président du Centre St.Amant, l’a expliqué clairement pendant le panel. Selon lui, l’accès au diagnostic constitue déjà une inégalité majeure :
« Les enfants partout au Manitoba attendent souvent plus de deux ans pour un diagnostic et les listes d’attente pour les services thérapeutiques sont également très longues. Je partage tout ça parce que c’est le point de départ pour tous les Manitobains. Cela dit, les familles Premières Nations connaissent davantage de défis, c’est clair ».
Il a également souligné la méfiance bien réelle de nombreuses familles autochtones envers les institutions de santé et d’éducation, un héritage direct des politiques d’alors.
« Ce que je trouve tout à fait normal étant donné combien de fois les gens ont connu des expériences de discrimination et un manque de respect au sein de ces systèmes-là. À plusieurs reprises, les familles hésitent à s’engager pour obtenir des services pour leurs enfants de peur que demander de l’aide pourrait les mettre en contact avec les services à l’enfance, et d’avoir le risque de voir leurs enfants enlevés de leur maison. C’est une tragédie », explique Ben Adaman.
Pour celles qui vivent dans des communautés éloignées, les distances, le manque de spécialistes et les démarches administratives lourdes s’ajoutent à ces obstacles. L’approche relationnelle et culturellement ancrée est au cœur de la solution.
Pour Bobbie-Jo Leclair, éducatrice Nêhiyaw, l’éducation canadienne a longtemps perpétué des récits coloniaux qui contribuent à empêcher la reconnaissance pleine des enfants autochtones et de leurs forces.
« En tant que personne autochtone, ayant travaillé dans le système scolaire pendant 22 ans, je vois tellement comment on regarde les enfants autochtones ou les parents autochtones, comme s’ils avaient des lacunes, et pas comme s’ils étaient des cadeaux », explique-t-elle.
Penser la formation
De son côté, Rachel Niziol a insisté sur les limites du système éducatif avec des enseignants qui ne sont pas formés pour répondre aux réalités des enfants autistes.
« Notre système d’éducation est créé pour voir les enfants ayant besoin de support à travers une lentille de déficience. Ils entrent dans la classe déjà perçus comme moins que les autres. Comment commencer de manière équitable quand on est vu comme moins dès l’entrée », questionne l’enseignante de Georges-McDowell.
Pour elle, la question centrale demeure : « On veut inculquer des habitudes qui vont offrir une valeur à la société, mais si mon fils Harry ne peut pas contribuer financièrement comme on si attend, c’est quoi sa valeur au fond et où est l’amour dans tout ça? ».
Karine Rioux, directrice de l’École de Tuxedo Park, a appuyé ce point en donnant l’exemple d’un élève qui, grâce à une approche relationnelle a pu s’épanouir, rappelant alors que ce sont les systèmes qui doivent changer, et s’adapter et non les enfants.
Décoloniser les outils
Lorsque le contexte culturel est pris en compte et lorsque les cliniciens sont autochtones ou ont pris le temps de connaître l’enfant et sa famille, les résultats des évaluations changent radicalement.
Lors du film, Reese Heidecker, la thérapeute d’Anders, souligne que les évaluations standardisées, conçues pour des enfants blancs souvent privilégiés, sont selon elle inutiles pour les enfants autochtones. Ils sont sacrés est donc une invitation à repenser nos systèmes de santé, d’éducation et nos politiques sociales.
Au-delà des constats, le film met en lumière une manière différente d’accompagner les enfants autistes, en partant de leurs forces et en reconnaissant leur apport.
Pour Rachel Niziol, cette transformation n’est pas seulement souhaitable, mais elle semble urgente.
Pour elle, tout comme dans les perspectives autochtones, le problème n’est pas l’autisme ni l’enfant.
« Ce qu’on veut, au fond, c’est une société qui célèbre nos enfants pour ce qu’ils sont, pas pour ce qu’on voudrait qu’ils deviennent », conclut-elle.
(1) Sewatsiwin, ils sont sacrés sera disponible à partir du 16 décembre




