Dans une salle du Théâtre Cercle Molière (TCM), on débat de dramaturgie et de tension narrative.
Dans une autre, des participantes manipulent et comparent des matériaux réutilisables pour imaginer un décor écoresponsable.
Plus loin, des corps se déplacent au ralenti.
Pour la première fois depuis sa création en 2011, le stage de perfectionnement professionnel de l’Association des théâtres francophones du Canada (ATFC) se déroule à Winnipeg.
Une première tout à fait réfléchie pour Chloé Saulas, gestionnaire de la programmation à l’ATFC : « On voulait célébrer aussi le centième du Théâtre Cercle Molière, donc on a décidé de faire nos stages en 2025 ici ».
Ces stages, autrefois hébergés au Centre des arts de Banff, ont adopté un format nomade depuis trois ans : en 2023, Edmonton ; en 2024, Moncton ; et cette année, cap sur les Prairies.
Le format de cette formation
L’ATFC n’était pas inconnue du TCM : un forum de ses membres s’y était déjà tenu en 2023, mais jamais l’organisme n’y avait organisé son programme de formation.
Durant deux semaines, du 30 novembre jusqu’au 13 décembre, 12 participants issus du milieu du théâtre de la francophonie canadienne (dont trois originaires de Winnipeg) sont répartis dans trois ateliers distincts.
Le premier atelier traite du corps de l’interprète et la direction de l’intimité.
Dirigé par Dominique Leduc et Mimi Côté, ce stage aborde le mouvement, la présence scénique et les nouvelles pratiques encadrant la mise en scène de l’intimité.
Une formation plus que nécessaire, selon plusieurs participantes.
Ava Darrach-Gagnon, comédienne bilingue qui amorce une carrière en mise en scène, y découvre un espace où revisiter sa pratique.
« C’est beaucoup à propos du placement du corps, qu’est-ce que le corps peut introduire sur scène, et comment la respiration peut nourrir des expériences », raconte-t-elle.
Le second, encadré par Anne-Marie White, plonge les participants dans l’écriture, la construction dramatique et les mécanismes qui maintiennent l’attention du public.
Karam Daoud, artiste multidisciplinaire installée à Winnipeg depuis 12 ans, y trouve un espace pour se consacrer entièrement à la création : « C’est hyper intéressant parce que ce n’est pas juste tu t’assoies et tu écoutes. Il y a des discussions aussi, c’est hyper intéressant d’entendre les autres artistes et Anne-Marie justement, qui est une écrivaine qui a été publiée, qui a eu ses pièces montées, qui a fait de la mise en scène aussi. Elle souligne la qualité du rythme proposé et l’importance des moments communs qui ponctuent les journées de formation.
« C’est rare de pouvoir se mettre vraiment entièrement, 24 heures sur 24, dans un espace de création. C’est un gros bonus pour moi », ajoute-t-elle.
Le troisième atelier, en partenariat avec l’organisme québécois Ecoscéno, aborde les pratiques responsables dans la conception de décors.
Aurélie Nana Forson, coordonnatrice des relations et des réservations scolaires au TCM et aussi artiste pluridisciplinaire, fait partie de ce petit groupe.
L’éco-conception rejoint directement ses aspirations.
« Je me suis dit ça pouvait être une addition par rapport aux compétences que je voulais développer parce qu’en étant conteuse, la plupart des produits artistiques que j’offre sont souvent à l’oral. Mais je suis en train d’explorer l’idée de mettre mes contes sur papier et peut-être les adapter pour la scène théâtrale. Donc d’avoir cette approche dès le début de la conception d’une scène de théâtre, c’est intéressant », dit-elle.
Pour Chloé Saulas, il est essentiel que les groupes soient restreints, ceci afin de « pouvoir vraiment travailler et que chacun reparte avec une pratique enrichie ». L’ATFC prend aussi en charge les déplacements, l’hébergement et les per diem pour une véritable accessibilité, permettant à des artistes aux revenus souvent fragiles ou débutants dans la profession de se perfectionner, d’écrire et de créer.
Un besoin de former en français hors Québec
L’ATFC regroupe aujourd’hui 17 compagnies professionnelles situées dans des contextes linguistiques minoritaires, répartis entre Vancouver et le Nouveau-Brunswick. Et dans ce réseau, une réalité s’impose : hors Québec, les possibilités de formation théâtrale en français demeurent extrêmement limitées.
« En dehors du Québec, des formations en français pour les artistes, il n’y en a que deux à l’université, à Ottawa et à Moncton », rappelle Chloé Saulas.
« Pour la formation continue, dans plusieurs provinces, ça n’existe pas. On vient donc un peu pallier ce manque ».
Pour Ava Darrach-Gagnon, qui travaille presque exclusivement en anglais depuis dix ans, ce stage représente une reconnexion identitaire : « J’ai trouvé récemment que ce qui me manquait beaucoup, c’était mon identité française. Ça fait partie de qui je suis, alors ça devrait faire partie de mon art ».
Karam Daoud elle aussi a davantage travaillé en anglais à Winnipeg, et le fait de se former et d’écrire en français offrent une liberté qu’elle ne retrouve pas dans le théâtre anglophone.
Aurélie Nana Forson rajoute que le fait que le stage soit en français, sa langue maternelle, rend les concepts abordés plus accessibles.
De précieuses connexions
L’un des objectifs du programme est de créer des ponts entre les artistes francophones répartis aux quatre coins du pays.
« On sait que les communautés travaillent en situation minoritaire. Il y a donc intérêt à avoir d’autres alliés francophones dans les autres provinces. Le fait d’aller dans ces communautés, de bouger, c’est aussi de créer du lien avec la communauté artistique locale, des liens qui, on espère, vont perdurer pour de futures collaborations », souligne Chloé Saulas.
Pour Karam Daoud, c’est un avantage certain : « C’est trop bien de connaître plus de personnes dans le théâtre dans le Canada en général, plutôt que juste à Winnipeg ».
« C’est le fun, c’est la première fois que je rencontre les autres artistes de Winnipeg même. C’est très précieux d’avoir cette expérience pour la première fois », rajoute avec émotion Ava Darrach-Gagnon.
« On est tous ici pour la même raison, c’est qu’on adore le théâtre, et on veut avoir une connexion de toutes les petites places autour du Canada. Et ce que j’aime voir en rencontrant le monde, c’est de voir que ce qu’on a tellement en commun, et ce qu’il y a de différent, ça nous unit aussi ».
Un programme d’avenir
L’ATFC travaille déjà au prochain cycle de trois ans, même si les villes hôtes n’ont pas encore été officialisées.
« C’est un programme majeur de notre association, donc on veut absolument que ça continue », affirme Chloé Saulas.
Et au vu des témoignages des participants, le désir de poursuivre est partagé.
« Si l’année prochaine, il y a d’autres opportunités d’essayer d’autres choses, je vais les prendre, c’est sûr », assure Ava Darrach-Gagnon.
« Certainement, je le referai », renchérit Aurélie Nana Forson, déjà impatiente de mettre en pratique ce qu’elle apprend en éco-conception.





