Par Daniel BAHUAUD

En rencontrant des sinistrés des inondations de 2011, et en filmant le retour de la célèbre cloche de Batoche, Janelle et Jérémie Wookey ont porté l’objectif de leur caméra sur deux facettes différentes de la vie chez les Autochtones et les Métis.

 

Jérémie et Janelle Wookey, à l’église Saint-Antoine-de-Padoue du site historique national de Batoche.
Jérémie et Janelle Wookey, à l’église Saint-Antoine-de-Padoue du site historique national de Batoche.

La cinéaste francophone, Janelle Wookey, a passé un été bien chargé. Accompagnée de son frère et collègue de travail, Jérémie Wookey, elle a filmé les visages angoissés des sinistrés autochtones des inondations de 2011, et capté la jubilation des Métis lors du dévoilement de la cloche de Batoche.

« Ça a décidément été un été rempli d’images contrastantes, déclare Janelle Wookey. En juin et début juillet, j’ai rencontré des Autochtones du lac Saint-Martin et de la première nation de Little Saskatchewan qui avaient été évacués de leurs demeures lors des inondations printanières de 2011. Ils ne sont toujours pas rentrés chez eux. Au contraire, ils pourrissent dans des hôtels de Winnipeg.

D’où l’intérêt, voire la nécessité de les rencontrer. Je voulais mieux comprendre ce qu’ils vivent, pour ensuite leur donner une voix à la télévision. »

Une coproduction de Wookey Films et de la firme bonifacienne Newman Films, le documentaire réalisé par Janelle Wookey avec l’appui de Jérémie Wookey à titre de coréalisateur, directeur de la photographie et de monteur, sera télédiffusé en 2014 à l’antenne d’APTN.

Aucun titre n’a encore été proposé pour le film, mais en relatant le contenu de quelques-unes des entrevues, Janelle Wookey brosse un tableau peu encourageant de la situation dans laquelle se trouvent les quelque
2 000 sinistrés.

« Imaginez que l’on obligerait des gens de Saint-Boniface à quitter la ville pour aller vivre au beau milieu du bouclier canadien, sans aucun conseil sur comment survivre, et vous avez une idée de ce qu’ont vécu ces sinistrés, déclare-t-elle. Ces résidants de la campagne, dont la grande majorité n’a jamais mis les pieds dans un milieu urbain, ont été laissés pour compte à Winnipeg. C’est le choc culturel total. »

De plus, puisque les familles sinistrées n’ont aucune adresse permanente, elles ne peuvent inscrire leurs enfants à l’école.

« Cela fait deux ans que des jeunes de six à 18 ans n’ont reçu aucune éducation formelle, s’exclame Janelle Wookey. Et que leur arrive-t-il? Ils sont exposés à l’alcool, à la drogue et aux gangs. Entre-temps, le chef de la première nation de Little Saskatchewan a disparu. On ne sait pas où il s’est enfuit. Les chefs autochtones de lac Saint-Martin se sentent dépassés par la situation. Ils ne savent pas comment y faire face. La situation est très décourageante, mais en tant que cinéaste, je me dois de la décrire aussi honnêtement que possible. Ce n’est pas toujours facile. »

En route vers Batoche

Le voyage de Janelle et de Jérémie Wookey à Batoche a été plus agréable. Le duo y a tourné, pour un deuxième documentaire, le dévoilement de Marie-Antoinette, la fameuse cloche qui avait été enlevée par des miliciens canadiens après la bataille de Batoche, en 1885.

« Nous avons fait le trajet en autobus, avec la délégation de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM), explique Janelle Wookey. Le périple s’est avéré des plus agréables, puisque mon frère et moi sommes Métis et membres de l’UNMSJM. Nous étions fiers de voir dévoiler la cloche, et de pouvoir glaner des témoignages des gens qui se sont rassemblés à Batoche. »

Parmi les images marquantes de l’évènement, Janelle Wookey mentionne les larmes qui coulaient librement de la foule lors du dévoilement, ainsi que chez les individus qui ont touché la cloche, lorsqu’elle était en exposition après les cérémonies.
« J’ai vu une femme toucher la cloche et réciter une prière, raconte Janelle Wookey. Pour cette Métisse, la cloche était plus qu’un symbole d’unité et de réconciliation; elle est devenue une relique sacrée.

« Le moment qui m’a le plus émue était de voir Billyjo DeLaRonde transporter la cloche, accompagné d’un Mgr Thévenot jubilant, et d’une garde d’honneur de la Gendarmerie royale du Canada, poursuit-elle. L’heure était décidément venue pour la réconciliation. »

Janelle et Jérémie Wookey n’ont toujours pas trouvé de société de production ou de télédiffuseur qui s’intéressent à leur documentaire en devenir. Or, le duo n’y trouve rien d’inquiétant.

« C’est encore possible de trouver des appuis pour offrir un beau documentaire à la télé, et nous continuerons de travailler au dossier, indique Janelle Wookey. Nous ne sommes, après tout, qu’au début de notre tournage. Mais l’essentiel était d’obtenir les images et témoignages à Batoche.

« Par ailleurs, il fallait accompagner la délégation de l’UNMSJM, poursuit-elle. Non seulement l’organisme est le gardien officiel de la cloche, mais en plus l’autobus regorgeait de vedettes de la communauté métisse, comme Guy Savoie, Paul Desrosiers, Yvon Dumont, Tony Belcourt et Réal Bérard. Et mon petit doigt me dit que dans 50 ans, on parlera encore de la gang qui est montée à Batoche avec la cloche. Quel cinéaste n’aurait pas voulu être de la partie?