Archiviste à l’USB depuis 1999, Carole Pelchat a entamé un travail de mémoire visant à retracer la présence, longtemps invisibilisée, d’élèves métis à l’Université de Saint-Boniface (USB) de 1885 à 1967.
La question de la présence d’étudiants métis sur le campus lui a souvent été posée, Carole Pelchat l’affirme, « il y a toujours eu des étudiants métis » à l’USB.
Toutefois, cette présence, longtemps perçue comme marginale, ne l’est pas tant.
Le 25 septembre dernier, vêtue d’orange, l’archiviste a présenté ses recherches devant une assemblée d’une vingtaine de personnes à l’USB.
Carole Pelchat explique sa méthodologie dans laquelle, elle utilise, en point de départ, deux œuvres, Les Métis au Collège et à l’Université de Saint-Boniface, de Denis Gagnon et Beverley Lunney (2018). Ainsi que, les écrits de Paul Régnier sur le Collège de Saint-Boniface.
L’histoire du Collège de Saint-Boniface remonte à 1818, quand l’abbé Norbert Provencher arrive à la rivière Rouge, il ouvre une petite école, et « dès le départ, il envoie beaucoup de directives », rappelle Carole Pelchat.
Parmi celles-ci, la nécessité de l’apprentissage du latin, car l’on cherche à recruter pour le sacerdoce.
Dans cette première classe, on enseigne à deux garçons, Victor Chénier, Métis, et un Canadien-français du nom de Sénécal.
Le Collège étant officiellement fondé en 1855 par Mgr Taché, Carole Pelchat débute donc son propos en associant les prémices du Collège avec la présence métisse.
Une mémoire fragilisée
L’incendie du 25 novembre 1922, qui a coûté la vie à dix personnes, dont neuf étudiants du Collège, complique le travail de recherche de l’archiviste.
Elle explique que les jésuites du Collège, tenaient des annuaires avec un grand nombre d’infor- mations sur les étudiants. « Je me suis servie de ces fiches et des registres pour mes recherches », indique Carole Pelchat.
Néanmoins, ces documents n’indiquaient pas l’origine métisse des élèves. Dans le but de combler ces silences, Carole effectue une enquête minutieuse.
Dans une période de six mois, elle répertorie dans sa base de données environ 7 800 étudiants métis ayant reçu une éducation au Collège de Saint-Boniface entre 1885 et 1967.
Pour ce faire, elle a croisé de multiples sources ; des registres scolaires, des recensements, des archives de La Liberté, ou encore des bases de données en ligne comme celle de Métis Nation Historical Online Database pour ne citer qu’eux.
« J’ai fait ce travail de façon manuelle. Pendant six mois, c’était devenu mon univers. »
« Avant 1885, explique-t-elle, il y a eu des figures métisses notoires qui sont passées par le Collège, comme Louis Riel, Louis Schmidt, Alexandre Kittson ou encore Ambroise Lépine. »
D’après ses recherches, entre 1818 et 1885, ce sont près de 482 étudiants métis qui sont scolarisés à Saint-Boniface.
En 1885, les Métis « représentaient 24 % » des étudiants du Collège et les noms de familles qui reviennent le plus souvent étaient « Dease, Carrière, Harrison, Gladu ou encore Goulet », explique l’archiviste.
Pour réussir à retracer la filiation de ces étudiants, dans le but de déterminer leur origine, Carole Pelchat insiste sur la nécessité de remonter la filiation jusqu’à la mère, un procédé crucial pour établir l’identité métisse.
Il y avait donc « plus d’étudiants métis de la souche maternelle », indique–t-elle.
Elle donne l’exemple de la famille Carrière, après avoir croisé le nom du fils François Carrière dans son travail de recherche, elle estime son âge en se servant des cours auxquels il est inscrit, puis en y ajoutant les données de recensement, elle découvre qu’il est âgé de 13 ans, non pas 16 ans comme elle le pensait au préalable.
Grâce à son procédé de recherche et de croisement de ressources, elle retrouve le père, puis le frère, et « c’est seulement en retrouvant le nom de la mère, dit-elle, qu’il y eu confirmation de son origine ».
Des figures marquantes
Lors de son intervention, Carole Pelchat illustre la diversité des talents formés à Saint-Boniface ; des enseignants, des politiques, et même des sportifs.
Dès 1857, Louis Schmidt, fréquente le Collège de Saint-Boniface, il fait carrière dans l’enseignement et devient secrétaire du gouvernement provisoire de Louis Riel en 1869.
Quelques années plus tard, c’est Antoine Gingras qui va recevoir une éducation au Collège entre 1885 et 1895. Hockeyeur professionnel, en 1901 et 1902, il remporte deux fois la coupe Stanley avec les Winnipeg Victorias.
Carole Pelchat s’est aussi intéressée à la présence de Premières Nations au Collège.
En 1891, Daniel Kennedy, un jeune chef assiniboine connu sous le nom d’O Changkuga’he, fréquente l’institution. Il devient ensuite l’auteur de Recollections of an Assiniboine Chief (1972).
Début 20e siècle, un autre élève se distingue, le diplomate métis, Hector Allard, fréquente le Collège de 1916 à 1924. Il y obtient son baccalauréat puis poursuit des études à Oxford grâce à une bourse Rhodes.
De 1953 à 1957, il occupe le poste de délégué permanent du Canada aux Nations Unis à Genève. Ambassadeur pour le Canada, entre 1957 et 1959, c’est en tant que diplomate qu’il représente son pays à Cuba, en Haïti, en République dominicaine, puis au Danemark de 1960 à 1967.
« C’est une institution où l’on forme des élites, et il y a eu des élites métisses à Saint-Boniface. »
Au-delà de la diversité des talents formés, ces histoires illustrent surtout la continuité de la présence métisse et autochtone au sein de l’institution, malgré le manque de reconnaissance de cette présence.
Elle insiste, « ce qui m’a le plus touchée, c’est le monde que j’ai pu trouver ».
Pour Carole Pelchat, ses recherches ne relèvent pas uniquement d’une histoire passée, et en ce contexte de vérité et réconciliation, il semble important de redonner une place à ces parcours oubliés.
Le travail de Carole Pelchat s’inscrit directement dans cette démarche de mémoire collective : rendre visible la présence des étudiants métis afin de s’assurer que leur histoire existe au cœur même de celle de l’Université.
Carole Pelchat souhaite prolonger ses recherches, elle espère trouver davantage d’informations sur les étudiants avant 1885, explorer les correspondances de Mgr Taché, ou même s’intéresser aux profils socio-économiques des étudiants métis et de leur famille.
Cependant, consciente que certaines familles ne revendiquent pas leur héritage Métis, Carole Pelchat se fixe donc une limite au regard de la période à l’étude, dans un souci d’éthique et de respect de la vie privée.
Un autre aspect de la recherche de Carole Pelchat, s’articule autour de l’’histoire des femmes au sein de l’institution, une histoire qui selon elle reflète, elle aussi, une invisibilisation.
La première diplômée, Kathleen Banville, obtient son grade en 1961, mais « les femmes ne figurent pas dans les annuaires des jésuites avant 1965 » comme le souligne Carole Pelchat.
Elle ajoute, « les jésuites n’ont pas inscrit les noms des femmes dans les dossiers », ce qui a contribué à effacer leurs parcours des archives institutionnelles, et cela, pendant des années.
L’archiviste raconte avoir dû aller « les chercher dans les dossiers étudiants, dans les listes de classe », afin de s’assurer que ces étudiantes « soient représentées ».