Le conflit actuel entre les enseignants et le gouvernement de l’Alberta illustre les limitations que les gouvernements peuvent imposer sur les droits prévus par la Charte canadienne des droits et libertés, un conflit qui pourrait faire évoluer le regard que l’on porte sur cette partie de notre Constitution.
Cette Charte garantit un ensemble de droits fondamentaux, telle la liberté d’association dont un élément essentiel, selon une déclaration de la Cour suprême en 2015, serait le droit des employés de retirer leurs services.
Malgré ce jugement, le gouvernement de l’Alberta vient d’imposer unilatéralement de nouveaux contrats à 51 000 enseignants en grève dans les écoles publiques, catholiques et francophones.
Il leur a aussi ordonné de retourner au travail à des conditions qu’ils avaient massivement rejetées quelques jours auparavant.
Le gouvernement a pu agir ainsi parce que la Charte contient une clause de dérogation qui permet au Parlement fédéral et aux assemblées législatives provinciales d’adopter des lois qui dérogent à certaines de ses dispositions pour une période maximale et renouvelable de cinq ans. L’invocation de la clause signifie que les tribunaux ne pourront pas abroger la loi provinciale même si elle était jugée en violation de la Charte.
Rappelons que cette clause existe parce qu’au début des années 1980, le gouvernement fédéral cherchait à doter le pays de sa propre constitution.
Jusqu’alors, le Canada était sous le régime de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, adopté par le Parlement britannique pour créer le Dominion du Canada.
Parce que plusieurs provinces craignaient qu’une charte ne donne trop de pouvoir aux tribunaux qui seraient appelés à l’interpréter, le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau avait concédé qu’une clause dérogatoire y soit insérée, Ce fut un compromis sans lequel plusieurs provinces auraient refusé d’appuyer l’adoption de la Charte.
Les défenseurs de la clause ont soutenu qu’elle était essentielle au maintien du principe de la souveraineté parlementaire qui permet aux élus de prendre des décisions qu’ils jugent nécessaires, même si elles vont à l’encontre de droits fondamentaux. C’est exactement ce qui se produit actuellement en Alberta.
Les syndicats albertains tentent de créer un mouvement populaire qui forcerait le gouvernement de renverser sa décision d’invoquer la clause dérogatoire. Indépendamment du résultat des débats à venir, le cas de l’Alberta doit intéresser tout le pays, puisqu’il souligne la fragilité de certains de nos droits.
L’opinion publique demeure l’outil de dernier recours dans la défense des droits fondamentaux et, en fin de compte, il revient aux citoyens eux-mêmes de se faire entendre par leurs gouvernements et de défendre leurs droits.


