Par Daphné LEMELIN.
“Je me sens brisé”. Le durcissement des politiques migratoires au Canada plonge des milliers d’immigrants dans l’incertitude, comme Mansef Aloui, arrivé de Tunisie avec sa famille, dans un pays autrefois considéré comme une terre d’accueil.
Après avoir ouvert grandes les portes de l’immigration juste après l’épidémie de Covid-19, Ottawa a pris depuis un an un virage et ne cesse de réduire le nombre d’immigrants acceptés.
Conséquence : la population canadienne a diminué de 0,2 % au troisième trimestre de l’année pour la première fois depuis 2020, selon des chiffres officiels publiés mercredi, en raison principalement du départ d’étudiants internationaux.
Il y a deux ans, Mansef Aloui a tout vendu en Tunisie, son pays d’origine, pour immigrer à Laval, au nord de Montréal, dans l’espoir d’offrir à ses enfants une meilleure éducation.
Mais le mois dernier, le Programme de l’expérience québécoise, qui permettait à ce travailleur qualifié de demander la résidence permanente, a été supprimé tronquant du même souffle ses espoirs de rester dans le pays où il a rebâti sa vie.
“Je me sens brisé. Ma vie est toute bouleversée. Ma fille est dans sa chambre, elle pleure, jour et nuit. Mon fils aussi, ils sont découragés”, affirme d’une voix cassée à l’AFP le père de 50 ans.
“Tout est flou pour moi”, confie-t-il, à un mois de l’expiration de son statut légal dans le pays.
Comme M. Aloui, des milliers de résidents temporaires devront quitter le Canada en raison de ces nouvelles politiques.
En 2026, Ottawa n’autorisera que 380 000 nouveaux résidents permanents (contre 395 000 cette année, et près de 500 000 l’année précédente), et réduira de près de moitié les admissions de travailleurs temporaires et étudiants (385 000 en 2026 contre 673 650 cette année).
Le gouvernement libéral de Mark Carney a expliqué qu’il voulait reprendre le “contrôle du système d’immigration” afin de ramener “l’immigration à des niveaux acceptables”.
– “Discours toxiques” –
L’apparition de “discours toxiques et xénophobes” chez les politiciens est un fait relativement nouveau au Canada, constate Gauri Sreenivasan, codirectrice du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), organisation de défense des droits des immigrants.
Un phénomène qui s’accompagne d’une montée des inquiétudes liées à l’immigration dans la population: en 2022, seulement 27 % des Canadiens estimaient que le pays accueillait trop d’immigrants, un chiffre qui atteint aujourd’hui 56 %, selon la firme Environics Institute.
Pour Gauri Sreenivasan, les politiciens “prennent avantage d’un courant mondial” pour “blâmer et transformer (les immigrants) en boucs émissaires”, responsables de la hausse des prix des logements et des pressions sur le système de santé, notamment.
Si “le Canada est une terre d’accueil”, pour Sergio da Silva, arrivé du Brésil en 2022 avec sa femme et leurs deux enfants, il blâme la bureaucratie et les politiques d’immigration qui n’ont plus rien d’accueillants.
– “Trahison” –
“On a étudié, on parle français, on a toutes les conditions pour rester ici, on est intégrés”, déplore ce Brésilien de 36 ans, qui se sent “trahi”.
Avec ses rêves mis en pause forcée, Sergio da Silva doit désormais composer avec la désillusion qui l’habite.
“C’est un manque de respect. On n’est pas des chiffres. On est des êtres humains, des gens intégrés. On ne pose pas de problème à la société”, plaide-t-il.
Pour Catherine Xhardez, chercheuse à l’Université de Montréal et spécialiste de l’immigration, il est certain que “l’exceptionnalisme canadien en immigration est ébranlé”.
La chercheuse soutient que “le consensus s’est effrité”, surtout face à l’augmentation rapide de l’immigration temporaire, dans un système plutôt fondé sur l’intégration permanente des immigrants.
Mais selon elle, ce durcissement est “sans aucune mesure” avec ce qui se passe en Europe avec la montée de partis ouvertement xénophobes, ou aux Etats-Unis.
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