Concerto pour violoncelle et orchestre op. 104 (B 191) de Dvořák

Symphonie n° 2 en ré majeur, op. 73 de Johannes Brahms

Orchestre symphonique de Winnipeg, dir. Alexander Mickelthwate

Alban Gerhardt, violoncelle

Le vendredi 8 octobre 2010, Salle de concert du centenaire

Alors qu’il enseignait au Conservatoire de Prague, Hanus Wihan, un professeur de violoncelle collègue de Dvořák, avait prié le compositeur d’écrire une oeuvre pour cet instrument. Dvořák n’était pas convaincu que le violoncelle soit un instrument solo convenable pour un concerto. Il aimait le registre intermédiaire du violoncelle mais considérait que l’aigu avait une sonorité “nasillarde” et que le grave ressemblait à un “marmonnement”. Mais sa perception a changé lorsqu’il est allé à New-York en 1892 pour diriger pendant trois ans le Conservatoire national de musique.

Au conservatoire, Dvořák a développé une grande affinité artistique avec un de ses nouveaux collègues, le professeur de violoncelle Victor Herbert, un violoncelliste virtuose réputé. En mars 1894, Herbert a créé son 2e Concerto pour violoncelle avec l’Orchestre philharmonique de New-York. L’oeuvre de Herbert et la virtuosité de son jeu ont bouleversé Dvořák, qui a subitement découvert la richesse du violoncelle. Il a commencé à composer son Concerto pour violoncelle en novembre 1894 et l’a terminé en février 1895. Le concerto est empreint de la nostalgie de Dvořák pour sa terre natale et de la tristesse causée par la maladie et la mort de sa belle-soeur, son ancienne élève et amour de jeunesse. L’oeuvre a été accueillie avec enthousiasme dès sa création et est considérée comme l’une des plus grandes oeuvres concertantes pour violoncelle.

L’exécution d’une oeuvre aussi connue représente toujours un grand défi, tant pour le soliste que pour l’orchestre. Il n’est pas facile d’en faire une interprétation qui se démarque du déjà entendu. Ce concerto a été enregistré par les plus grands violoncellistes du 20e siècle et les orchestres et chefs les plus réputés. Alban Gerhardt l’a jouée près de 150 fois au cours de sa carrière. Il expliquait en entrevue qu’il ne cherche pas du tout à reproduire une interprétation identique à chaque concert et encore moins à imiter ou à se différencier d’autres interprètes. Il a acquis une maîtrise technique telle qu’elle lui donne la liberté d’exprimer les émotions qu’il ressent pendant le concert, qui varient d’un concert à l’autre selon ses états d’âme, les lieux, le chef et l’orchestre, l’auditoire. Plutôt que de chercher à épater par des prouesses techniques ou de la virtuosité, il souhaite que chaque concert soit une expérience musicale unique qui touche l’âme et le coeur des auditeurs. C’est ce qu’il nous a fait vivre lors de ce concert.

L’entrée en scène de Gerhardt et Mickelthwate fut touchante. Tous deux d’origine allemande et du même âge, 41 et 40 ans, presque de même taille, ils semblaient deux frères… et ils ont interprété cette oeuvre comme deux frères qui s’entendent parfaitement.

L’orchestre est très important dans cette oeuvre, son rôle ne consistant pas uniquement à accompagner ou à ornementer. Il doit s’établir grande complicité entre le chef et le soliste pour maintenir l’unité de l’ensemble. Gerhardt et Mickelthwate réussi à maintenir cette unité grâce à une communication soutenue pendant toute la durée de l’oeuvre.

Dès l’introduction, on a senti une grande émotion dans toutes les sections de l’orchestre. Le phrasé est clair, fluide, bien nuancé. La transition à la première intervention du violoncelle est parfaitement réussie. Le jeu de Gerhardt est vibrant, très lyrique. Pas de grands gestes, de mouvements emportés du corps comme on voit parfois chez certains: rien pour distraire de l’essentiel: la musique, qui semble couler de l’intérieur de son être, presque sans effort.

Cette oeuvre est tellement riche et a été si bien exécutée qu’il est difficile d’en retenir des points forts. Parlant du concerto, Gerhardt, ne peut identifier un passage qu’il préférerait. Il considère avec raison que tous sont très beaux, presque parfaits. Mentionnons tout de même la mélodie centrale du deuxième mouvement, thème d’un chant composé par Dvorak, “Laissez moi vaguer seul dans mes rêves”: elle a été “chantée” par le violoncelle avec une grande et émouvante sensibilité; et vers la fin du dernier mouvement, un bref duo avec le premier violon (Karl Stobbe) est joué avec une émotion qui semble évoquer un touchant dialogue amoureux entre Dvorak et sa belle-soeur, dont il venait d’apprendre la mort.

Après avoir été aussi emportés par le concerto de Dvorak, il ne fut pas facile de se libérer le coeur et l’esprit pour l’écoute de la belle Symphonie n° 2 en ré majeur, op. 73 de Johannes Brahms. C’est une belle oeuvre romantique, une ode à la nature expressive et très bien orchestrée qui n’a cependant pas l’intensité du concerto. Il aurait peut-être été préférable de la jouer en première partie. Ce fut une exécution sans faute, qui a permis encore une fois d’apprécier le haut niveau atteint par l’orchestre sous la direction d’Alexander Mickelthwate.