Par Raymond HÉBERT.
Nous sommes en pleine période électorale, comme en font foi les nombreuses annonces politiques, et, chose inusitée, même de candidats et candidates aux postes de conseillers à la Division scolaire franco-manitobaine (DFSM). C’est très encourageant de voir enfin une compétition pour ces postes, surtout en milieu urbain, où les élections par acclamation ont été la norme dans le passé.
Depuis longtemps, il est reconnu que le système électoral adopté lors de la création de la DSFM est inadéquat, voire injuste. En limitant le vote aux parents d’élèves inscrits couramment dans les écoles de la division, on enlève le droit de vote aux contribuables francophones manitobains. Certains ont souligné cette injustice, notamment Lucien et Lucienne Loiselle (La Liberté, 2 déc. 2009) qui s’exprimaient non pas en tant que contribuables mais plutôt comme grands-parents francophones mécontents de la situation.
En réalité, la situation est bien plus grave, touchant tous les francophones manitobains et non seulement les grands-parents, et elle pourrait un jour faire l’objet d’une contestation judiciaire. Le principe en jeu est celui qui a été formulé d’abord en anglais : « No taxation without representation. » C’était le cri de guerre des colonies américaines en 1776 lors du « Boston Tea Party » qui lança la révolution américaine; depuis ce temps, ce principe a été adopté par tous les pays démocratiques du monde. Or, au Manitoba français, nous nous trouvons, contribuables francophones de toutes les divisions scolaires cédantes, à transférer une partie de nos impôts fonciers à un corps élu (la DSFM) où nous n’avons pas un mot à dire, même pas aux élections. Le transfert de fonds se fait de façon indirecte entre divisions scolaires selon une formule assez complexe basée essentiellement sur une évaluation du coût annuel d’éduquer un élève dans la division cédante.
Qu’est-ce qui me permet d’affirmer que c’est une question constitutionnelle? Je m’appuie sur une décision récente de la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Kingstreet Investments vs. New Brunswick (janvier 2007) alors que le tribunal ordonna le gouvernement du Nouveau-Brunswick de remettre une somme d’un million de dollars à des contribuables qui avaient contesté le droit de la Province d’imposer une taxe indirecte, alléguant que seul le gouvernement fédéral a ce droit. Le Nouveau-Brunswick avait été appuyé dans sa défense par le Manitoba. La Cour Suprême affirma que les gouvernements doivent agir dans le cadre de principes constitutionnels, notamment celui de « no taxation without representation ». Évidemment il n’est pas sûr qu’advenant une contestation judiciaire de la situation à la DSFM réussirait en cour, mais il me semble que la même logique s’appliquerait, puisque les divisions scolaires sont des créatures de l’assemblée législative provinciale et donc des organismes publics.
De toute façon, mieux vaut prévenir que guérir. Il semble clair que le rapport de la firme « Mosaïk » n’avait pas considéré ces implications dans le modèle de « représentation élargie » qu’elle avait recommandé à la DSFM le 17 juin 2009, et il est certainement temps que la DSFM et surtout le gouvernement provincial les considèrent avant d’effectuer quelque changement que ce soit à la loi.
Alors y a-t-il des solutions? Oui, mais elles iraient bien plus loin que ce qu’a proposé, timidement, la DSFM jusqu’à maintenant. D’abord, il ne faudrait pas toucher à la formule de financement actuelle, qui de toute évidence fonctionne bien. Cependant, il serait peut-être possible d’offrir deux bulletins de vote à tous les contribuables des divisions scolaires cédantes, l’un contenant la liste des candidats et candidates à la division géographique (par ex., la « Louis Riel School Division »), l’autre contenant la liste de candidats à la DSFM. L’électeur pourrait choisir l’un ou l’autre bulletin, mais pas les deux. Une deuxième possibilité serait d’établir une liste permanente d’électeurs qui auraient signifié leur désir de voter à la DSFM plutôt que dans leur division géographique. Cette deuxième solution serait probablement plus difficile à administrer et plus coûteuse.
Cette solution demeurerait un compromis, puisque le lien entre le contribuable et ses impôts fonciers dirigés à la DSFM serait encore indirect, mais une solution du genre serait susceptible de satisfaire les tribunaux, puisqu’elle offrirait au contribuable au moins la possibilité d’exercer son droit de vote dans la division scolaire de son choix. Elle aurait aussi l’avantage d’encourager tous les francophones à se présenter comme commissaires et non seulement les parents, même si techniquement n’importe qui peut se présenter à l’heure actuelle en le faisant par le biais des comités de parents.