La situation sociopolitique demeure explosive suite à la publication des résultats, entre autres, préliminaires des élections du 28 novembre plaçant Mirlande Manigat, 31,37% des votes face à Jude Célestin, le dauphin de Préval, avec 22,48% des voix. Michel Martelly, le musicien très populaire, arrive en troisième avec une différence de quelque 6 000 bulletins après Célestin.
La tension qui prévalait juste avant les résultats s’est traduite par des manifestations de rues à Port-au-Prince, à Mirebalais, et à Cap-Haitien, où des foules en colère dénoncent l’exclusion de Martelly au 2ème tour des élections qui doit se tenir le 16 janvier 2011. Pneus et barricades enflammés à travers les rues, tirs sporadiques, la plupart des commerces fermés, y compris les écoles, le bureau politique du Parti Inite de Jude Célestin incendié, deux morts dans la ville des Cayes, des manifestants qui essaient de prendre d’assaut le bureau du CEP protégé par la Police nationale et la force de stabilisation de l’ONU, la MINUTSAH, aéroports fermés, fermeture de l’Ambassade du Canada à Port-au-Prince: voilà qui résume en vrac le chaos qui s’esquisse sur Haïti, quelques jours après la proclamation des vainqueurs de ces élections. La déception semble même atteindre l’Ambassade des États-Unis en Haïti conteste, à quelques égards, ces résultats qu’elle estime trop discordants avec ceux des observateurs indépendants au niveau local et international et encourage le CEP à rectifier le tir. Le canada, pour sa part, menace de ne pas reconnaître un président qui sortirait de ces élections jugées frauduleuses. Le président Préval émet un appel au calme mais il semble prêcher dans le désert. Lui qui oublie être arrivé au pouvoir suite à des manifestations de rue qui ont pris d’assaut l’hôtel Montana où le CEP d’alors était contraint de divulguer les résultats et le proclamer vainqueur sans avoir collecté les 50% + 1 des voix.
Par ailleurs, les candidats malheureux se dépêchent à entrer dans un processus de contestation légale. La lutte s’annonce longue et sans merci. Martelly lance un appel à la non-violence jusqu’à la victoire finale. Donc, ses partisans se mobilisent et ne sont pas prêts à accepter la défaite « commanditée » de leur candidat. Charles Henri Baker, candidat à la présidence placé en 6e position, persiste et signe: « Les élections doivent être annulées » après avoir présenté une vidéo où les agents de la MINUTSAH, comptant environ 12 000 militaires policiers à travers le pays, serait impliquée dans des fraudes électorales. Faut-il se rappeler que l’organisme de l’ONU vient d’être mis au banc des accusés après le récent rapport d’un épidémiologiste français de renom émettant l’hypothèse, unanimement acceptée, que l’épidémie du choléra a son foyer dans le delta de l’Artibonite où la première victime habitait une maisonnée limitrophe, de moins de deux cents mètres, de la base du contingent des Népalais. Le chercheur, Renaud Piarroux, a étayé sa thèse à partir de prélèvements collectés dans l’entourage de la première victime d’une épidémie qui vient de compter plus de 2200 morts. Par ailleurs, d’autres études ont corroboré celle de Piarroux. Des événements qui ne laissent pas indifférents la favorite de ces élections.
Manigat a déjà clairement tranché, qu’une fois arrivée au pouvoir, elle travaillera au retrait graduel des Casques bleus des Nations-Unies, une mission qu’elle traite d’occupation, bien qu’Edmond Mulet, chef de la MINUTSAH, ait annoncé les couleurs en menaçant que la mission quitterait Haïti au cas où la volonté du peuple d’élire librement un président serait compromise. En outre, Manigat a expliqué sa défection du groupe des 12 candidats qui exigeaient l’annulation des élections dès le 28 novembre. Elle admet avoir commis une erreur d’avoir affiché un comportement trop hâtif, un incident qu’elle déplore mais assume par contre. Une déclaration qu’on applaudit à tour de bras vu les énormes responsabilités qui attendent l’éventuel chef d’État et le niveau de clairvoyance et d’humilité qu’exige du même coup cette mission.
Le gouvernement en place, devant partir le 7 février prochain, en dépit du soutien de la MINUSTAH discréditée à son tour, peine, en ce moment, à rétablir l’ordre et la paix à travers le pays, qui de jour en jour, sombre dans une crise postélectorale et une épidémie de choléra qui n’en démord pas. Acculés, les membres du CEP sont assiégés par des milliers de mécontents qui continuent encore de protester violemment contre « un coup d’état électoral » en faveur du dauphin de Préval, Jude Célestin. Le CEP a proposé le recomptage des procès-verbaux pour séparer les trois candidats en tête des présidentielles. Joue-t-il sa dernière carte de crédibilité, ou veut-il tout simplement rationnaliser l’inadmissible?
Si l’apaisement des esprits n’est pas atteint dans un délai raisonnable; devant ce tohu-bohu qu’est devenue l’île des Caraïbes, on se doit de s’inquiéter de l’avenir en termes d’effritement, entre autres, de la souveraineté du pays. Surtout à un moment où des navires de la marine américaine ont, de surcroît, accosté la rade de Port-au-Prince. Le pays attend des alternatives authentiques, endogènes et visionnaires à la veille de sa 207e année d’indépendance. Les acteurs de la vie nationale sauront-ils, cette fois, mettre les intérêts nationaux de l’avant ou auraient-ils laissé l’histoire se répéter dans des cycles qui avilissent, une fois de plus, les acquis de liberté de 1804?