Chronique de Raymond Hébert du 14 mars 2011
Le gouvernement Harper est à un pas d’être trouvé coupable d’outrage au Parlement, ce qui serait une première dans l’histoire du Canada. En effet deux décisions du président de la Chambre des Communes, Peter Milliken, la semaine dernière ont mené M. Harper au bord du précipice. L’une porte sur les dépenses qui seront encourues suite aux diverses démarches législatives contre le crime entreprises par le gouvernement Harper et son refus d’en dévoiler les coûts au Parlement. L’autre porte sur une décision prise par la ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, qui a modifié une recommandation de son personnel en faveur du renouvellement d’une subvention de 7 millions $ au groupe Kairos en faisant ajouter le mot « NOT » à la recommandation qui lui avait été soumise. Dans la société civile, il s’agirait là d’un cas de fraude. Insatisfait des explications du gouvernement, M. Milliken a sommé Mme Oda de venir s’expliquer devant un comité parlementaire. Tout semble indiquer que Mme Oda avait d’abord accepté la recommandation de ses fonctionnaires pour ensuite la renverser, suite à une intervention externe, probablement du cabinet du premier ministre. Nous attendons toujours les explications.
L’accusation d’outrage au Parlement est la plus grave que l’on puisse porter à l’endroit d’un député ou d’un gouvernement. Pourtant, tout au long de ses cinq années au pouvoir, M. Harper a souvent démontré son mépris du Parlement (notamment avec deux prorogations, dont l’une pour se garder au pouvoir, décision digne d’un despote du tiers-monde) et de la Cour fédérale ainsi que la Cour suprême du Canada en refusant d’accepter leurs décisions dans le cas d’Omar Khadr. La Cour suprême en particulier a été cinglante dans sa condamnation du gouvernement Harper, affirmant que ses actions dans ce cas étaient en contravention du droit international et de la Constitution canadienne.
En prenant ces positions dans tous ces dossiers, M. Harper a manifesté un profond mépris pour les institutions fondamentales de la démocratie canadienne. Cette tendance s’est manifestée dès les débuts de ses mandats, avec l’abolition, par exemple, de la Commission de réforme du droit du Canada, fondée en 1971 et respectée internationalement pour son travail indépendant sur la révision systématique du droit canadien. La raison n’était pas financière : le budget fédéral pour cet organisme n’était que de 3 millions $ par année!
D’autres éléments importants pour le fonctionnement de la démocratie canadienne ont été ciblés par M. Harper et ses acolytes ultraconservateurs. Notons, par exemple, les restrictions sur l’accès à l’information, déjà pas très exemplaire sous les gouvernements précédents, qui ont fait que le Canada se classe maintenant, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Harper, bon dernier parmi cinq démocraties parlementaires, incluant la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Grande-Bretagne et l’Irlande. Le rapport, publié à Londres, a souligné que les autres pays du monde ne voient plus le Canada comme un modèle dans ce domaine.
Et la liste continue. L’été dernier, mettant de côté les inquiétudes de centaines d’intervenants sur la question, y compris la Banque du Canada et plusieurs gouvernements provinciaux, le gouvernement Harper (c’est-à-dire, dans le régime actuel, le cabinet du premier ministre) a aboli, à toutes fins pratiques, le formulaire long du recensement canadien, en le rendant facultatif. Dans ce dossier, pour des raisons purement idéologiques, le gouvernement Harper s’est injecté dans les travaux d’une agence professionnelle quasi-autonome, au détriment du bien-être de l’ensemble de la population canadienne.
Plus récemment, de nombreux organismes et professionnels dans le domaine, comptant dans les centaines, ont protesté contre les nouvelles mesures draconiennes introduites par le gouvernement Harper visant à rendre l’obtention de pardons beaucoup plus difficile. Depuis l’introduction de ces mesures, le nombre de pardons a chuté de façon dramatique (ce qui était sans doute l’intention du gouvernement) avec des conséquences imprévisibles mais probablement négatives pour la société canadienne. Dans le domaine des libérations conditionnelles, où le Canada jouissait d’une réputation internationale enviable, il est évident que l’analyse rationnelle a disparu complètement des décisions de ce gouvernement, pour être remplacée par une mentalité grossière de simple vengeance à l’endroit des criminels. Son modèle dans ce domaine est transposé sans doute de celui que son parti utilise dans sa campagne haineuse courante pour diaboliser le chef de l’Opposition, M. Ignatieff.
Mais ce n’est pas tout. Le mois dernier, la Cour fédérale a conclu qu’Élections Canada avait le droit de porter des accusations devant les tribunaux contre quatre conservateurs bien en vue, dont deux sénateurs, pour avoir enfreint les règlements financiers de cette agence autonome dont le mandat est d’assurer l’intégrité du processus électoral canadien. Le gouvernement Harper conteste ces allégations depuis 2006. La somme en cause dépasse 1 million $, et, s’ils sont trouvés coupables, les quatre pourraient écoper de peines allant d’amendes de 2 000 $ jusqu’à un an de prison.
Dans tous ces cas, M. Harper (car c’est lui seul qui prend toutes les décisions importantes de son gouvernement) a bafoué la démocratie canadienne. De plus en plus, même les partis de l’Opposition, qui ont choisi leurs mots avec soin dans le passé, parlent ouvertement d’un premier ministre dictatorial. Le mot n’est pas trop fort, et il semble être confirmé par le président de la Chambre lui-même.
Compte tenu de ses décisions passées qui témoignent amplement de son mépris des institutions parlementaires et judiciaires canadiennes dans un contexte parlementaire minoritaire, il est à se demander si l’électorat sera prêt à céder la domination absolue de nos institutions exécutives et législatives à M. Harper pour quatre ou cinq ans en lui accordant une majorité à la Chambre des Communes. Si jamais il obtenait cette majorité, il y a fort à craindre qu’il devienne notre Cromwell canadien ou, à tout le moins, notre Duplessis pan-canadien.
Raymond Hébert est politologue et professeur émérite au Collège universitaire de Saint-Boniface.