La Liberté | Chronique de Raymond HebertLa lettre de Roger Léveillé publiée dans La Liberté (25-31 janvier 2012) a fait couler beaucoup d’encre virtuelle (l’existence des médias sociaux a sans doute sauvé une forêt, dans ce cas-ci!). On y dégage une soif générale de changement et de démocratisation au Cercle Molière, objectifs évidemment louables en soi après ses 44 années sous la direction artistique de Roland Mahé.

Il faut cependant mettre les choses en contexte. Comme l’a souligné Bertrand Nayet, dans une lettre publiée aussi dans La Liberté (1er février, en ligne), notre société a longtemps fonctionné sur le modèle clérical, un modèle autocratique et dirigiste. Plus récemment, et surtout depuis les années 60, il y a eu une vague de démocratisation et d’ouverture des institutions franco-manitobaines à l’ensemble de la population. Mais ne nous faisons pas d’illusions : il reste encore beaucoup à faire. S’il existe de bons modèles démocratiques (la SFM et le Festival du Voyageur, pour ne nommer que ceux-là), bon nombre de nos organismes et institutions souffrent d’un déficit démocratique, en commençant par les plus importantes : la DSFM, par exemple, qui a mobilisé tant d’énergie chez tant de francophones manitobains durant des décennies, en exclut la majorité de ses élections, malgré le fait que tous y contribuent financièrement. Le conseil du Centre culturel franco-manitobain est nommé par le gouvernement et n’est pas élu. Le Bureau des gouverneurs de l’Université de Saint-Boniface, comme celui de toutes les universités que je connais d’ailleurs, est formé de membres nommés par le gouvernement et par divers organismes, en plus de membres cooptés, selon des processus qui sont opaques pour en dire le moins.

Plusieurs institutions, comme l’ancien CUSB par exemple, ont connu des moments houleux dans leur histoire. Au collège, après le transfert de l’institution par l’archevêché à une corporation laïque en 1969, il y a eu des périodes d’instabilité, notamment à la fin des années 70 et au début des années 80. Elles furent suivies par deux longues périodes de stabilité, sous les recteurs Paul Ruest (1981-2003) et Raymonde Gagné (2003 à aujourd’hui).

Je prends le CUSB comme exemple parce que qu’il pourrait bien servir comme modèle de transition pour le Cercle Molière. Ainsi, dans le cas du collège, le Bureau des gouverneurs a assumé pleinement ses responsabilités, lorsque le recteur Paul Ruest a pris sa retraite : il a créé un processus transparent, en retenant les services d’une compagnie de recrutement spécialisée dans le domaine universitaire qui a annoncé le poste aux niveaux national et local et a consulté largement, autant dans la communauté qu’à l’interne. Ce qui fait que, lors de l’annonce de la nomination de Raymonde Gagné comme rectrice, celle-ci fut généralement bien accueillie. Près de 10 ans plus tard, Mme Gagné a démontré des talents exceptionnels dans ce poste. Ainsi le départ de Paul Ruest n’a pas mené à une période d’instabilité, comme certains le craignaient à l’époque. Élément important à noter : Paul Ruest n’a pas participé lui-même au processus de sélection.

Alors voilà plusieurs leçons dont le Conseil d’administration actuel du Cercle Molière pourrait tirer profit :

1)    Adopter un processus transparent;

2)    Retenir les services d’une compagnie de recrutement spécialisée dans le domaine du théâtre, ou au moins dans le domaine général des arts; ces compagnies ont habituellement comme mandat de solliciter des candidatures activement plutôt que d’attendre les résultats des annonces. En plus, elles formulent des recommandations motivées aux décideurs.

3)    Assurer l’objectivité en excluant l’ancien détenteur du poste du processus de sélection.

Il est à noter que le « Stratford Shakespeare Festival », le plus important organisme théâtral au Canada, est en train de recruter le successeur du directeur général actuel, Des McAnuff, en suivant exactement ces mêmes procédures : création d’un comité de sélection au sein du Conseil d’administration (sept personnes dans ce cas-ci), embauche d’une compagnie de recrutement dont on attend les recommandations sous peu, et exclusion du directeur général actuel du processus. Il est parfois des moments dans l’histoire d’un organisme qui mettent des responsabilités particulièrement ardues sur les épaules des membres de son conseil; c’est sûrement un de ces moments en ce qui concerne le Cercle.

Pour ce qui est de la création de structures plus démocratiques, il me semble que s’il y a lieu d’adopter des réformes, cela peut attendre à plus tard; nous n’avons tout simplement pas le temps d’effectuer de tels changements avant la nomination de la nouvelle direction artistique. Il ne faut pas confondre ces deux questions, celle de la démocratisation du Cercle et celle de la sélection du successeur de Roland Mahé. Dans le cas de la succession de Roland, l’important est d’assurer la mise sur pied d’un processus à la fois transparent et professionnel qui assurera la stabilité et le renouveau artistique du Cercle ainsi que la crédibilité de la nouvelle direction auprès de son public.