Des chercheurs de l’Université de Moncton ont mené une étude qui pose un nouveau regard sur l’espace économique francophone des entreprises et entrepreneurs canadiens.
Le directeur général de l’Institut canadien de recherche en politiques et administration publiques (ICRPAP) de l’Université de Moncton, Marc Duhamel, a présenté, le 1er novembre à Gatineau au Québec, les résultats d’une étude sur l’espace économique francophone des entreprises sur laquelle il a travaillé depuis juin 2012 avec le chercheur Emmanuel Mbaïro.
L’étude, qui s’intitule Mesurer l’espace économique francophone des entreprises et des entrepreneurs canadiens : explorations, estimations et pistes de réflexion, était présentée dans le cadre du premier Forum pancanadien sur le développement économique en francophonie canadienne. (1)
« Même s’il existe déjà des mesures de l’espace économique francophone, notre étude est une première au Canada car on n’a pas seulement pris en compte les travailleurs francophones, mais aussi d’autres dimensions pertinentes pour ajouter de la valeur francophone à une entreprise, souligne Marc Duhamel.
«Toute entreprise qui utilise le français dans ses transactions, quelles qu’elles soient, contribue au développement de l’espace économique francophone, poursuit-il. C’est une nouvelle approche de cette question, et l’une de nos conclusions majeures. »
Dimensions multiples
Ainsi, en plus de la langue des travailleurs, l’étude considère aussi celle des propriétaires, de travail du conseil d’administration, ou encore celle utilisée avec les clients, les fournisseurs ou les partenaires. Au total, huit facteurs ont été identifiés par l’équipe de recherche à partir de trois littératures existantes sur la culture des entreprises.
De plus, « la langue maternelle, qui est utilisée dans les autres études, n’est pas le meilleur indicateur, estime Marc Duhamel. Ce qui compte, c’est la langue d’usage, celle dans laquelle les transactions internes et externes sont réalisées. Si les travailleurs sont francophones, mais qu’ils ne travaillent qu’en anglais, l’entreprise ne fait pas partie de l’espace économique francophone ».
Cette distinction est notamment importante hors-Québec pour avoir une image plus juste et précise de la réalité de l’espace économique francophone canadien. « Si on se fie à la langue d’usage de l’entreprise plutôt qu’à la langue maternelle des travailleurs, hors-Québec, on réduit de moitié le nombre d’entreprises dans l’espace économique francophone, mais c’est plus pertinent », affirme Marc Duhamel.
Ainsi, il constate que « si on veut augmenter l’espace économique francophone, on doit favoriser les liens avec des entreprises québécoises ou autres francophones pour que le français soit la langue d’usage ».
Le chercheur reconnaît toutefois que les données de la langue d’usage dans les transactions et les communications sont plus difficiles à obtenir.
« La raison pour laquelle les autres économistes se sont attardés sur la langue maternelle, c’est que les données étaient facilement disponibles avec Statistique Canada, confie-t-il. C’est moins facile pour les autres critères. Il faut croiser plusieurs enquêtes.
« Par ailleurs, les perceptions de l’espace économique francophone varient beaucoup d’un entrepreneur à l’autre », ajoute-t-il.
Résultats
L’étude de Marc Duhamel et Emmanuel Mbaïro estime notamment qu’environ 430 000 entreprises au Canada ont une dimension francophone selon la langue des propriétaires majoritaires ou du réseau pour les coopératives, dont 86 % sont au Québec, ce qui représente 18,2 % de l’ensemble des entreprises. C’est inférieur de 4 % au poids démographique de la population francophone au Canada.
« Selon ces résultats, on peut conclure que les francophones seraient un peu moins entrepreneurs que la population anglophone, commente Marc Duhamel. Ils travaillent plutôt dans le secteur public. »
Ces chiffres incluent les entreprises de travailleurs autonomes, les petites et moyennes entreprises, les organismes à but non lucratif et les coopératives, mais ils excluent les entreprises de plus de 500 employés. « Il n’y en a qu’environ 2 800, donc ça ne changerait pas vraiment les résultats », révèle Marc Duhamel.
Le travail de l’équipe de recherche de l’ICRPAP ne fait que commencer. « On veut maintenant savoir si certaines dimensions sont plus importantes que d’autres, dévoile Marc Duhamel. On commence déjà la phase 2, en développant des données à travers le pays. Mais ça va demander beaucoup d’analyse empirique, donc on ne s’attend pas à des résultats probants avant au moins 20 mois!
« En parallèle, il faudra une discussion cohérente des acteurs sur comment augmenter l’espace économique francophone canadien, quels sont les meilleurs critères pour cela », conclut-il.
(1) Un résumé de l’étude est disponible au www.forumeconomique2012.ca. L’étude complète devrait être disponible mi-novembre sur le site Internet de l’Université de Moncton : www.umoncton.ca.
Par Camille Séguy