Il s’agit de quelque chose que nous connaissons tous. Nous y sommes exposés tous les jours, nous nous engouffrons parfois dans l’erreur si facile et surtout, nous nous empressons souvent de juger ceux qui, comme nous, commettent ces erreurs si courantes qui parsèment l’apprentissage et la pratique de la langue française. Oui, je parle de ces fameux accords de genre qui semblent être un peu comme la toux… dernier symptôme à quitter la survenue d’un mauvais rhume.
Vous avez sûrement rencontré des jeunes francophones issus de milieux plus anglophones, ou même d’un milieu très francophone, insérant dans une phrase de façon probablement non intentionnelle des mots tels que « ma chien » ou encore « mon cuisine ». Peu importe, il s’agit d’erreurs de la langue qu’il ne faut reprocher à personne, puisque comme dans le domaine de la musique, c’est en faisant et en pratiquant qu’on apprend, surtout si l’on fait des erreurs! Trop souvent on entend parler de nouveaux francophones qui se sentent jugés et intimidés lors de conversations face à des prétendus experts de cette langue qui ne se maîtrise jamais complètement.
Aujourd’hui je ne vous écris pas afin de vous faire un discours sur la façon dont j’estime que nous devrions traiter les nouveaux francophones, loin de là… il s’agit en fait de quelque chose d’un peu plus léger. Laissez-moi vous mettre dans le contexte de la situation qui m’a mis la puce à l’oreille.
À la fin du mois d’octobre dernier, mon colocataire Vince et moi avons accueilli, lors d’une soirée d’Halloween, plusieurs abonnés du gym de crossfit où nous nous entraînons, groupe dont faisait partie Adriana, une mégacrossfitteuse de Windsor (Ontario), enseignant désormais à Lennoxville, près de Sherbrooke. À l’entendre parler, on devinerait à peine qu’il s’agit d’une anglophone d’origine à cause de son accent caméléon. Malgré tout, quelques erreurs de genre se glissent encore dans son discours de tous les jours et quelque chose a fait en sorte que nous en avons parlé lors du party en question.
Je ne me souviens pas très bien de la situation exacte, mais à un moment donné dans la soirée, elle a prononcé les mots « mon craque de fesse » à l’intérieur d’une phrase quelconque. Pardonnez-moi, mais je me trouve en ce moment incapable de remettre le tout en contexte et c’est pourquoi je vous demanderai d’être indulgents à son égard en considérant que le tout faisait partie d’une conversation intelligente. Peu importe, ce qu’elle venait de dire avait provoqué chez moi le réflexe de l’informer qu’il s’agissait en fait d’UNE craque de fesse et que le mot « craque » devait être accordé au féminin. Elle a rétorqué immédiatement en m’informant que selon elle, les mots et les expressions désignant des objets ou des situations dégoûtantes, grossières et immondes se devaient d’être accordées au masculin. La même règle s’applique pour des mots tels que « UN toilette » et « UN araignée ». Ne voyant pas d’argument logique contre ce qu’elle venait de dire, je lui ai répondu « Ah! Intéressant… ».
Je ne vous cacherai pas que j’ai trouvé tout cela assez drôle. J’étais surtout en admiration devant quelqu’un qui a appris le français lors de son adolescence comme plusieurs milliers de jeunes dans notre pays et qui avait réussi à faufiler un peu d’humour derrière ce que nous percevons être des « erreurs ».
J’ai entendu un petit discours récemment prononcé par Victor Wooten, celui que je considère comme étant un des meilleurs bassistes au monde, dans le cadre d’une miniconférence TED. Il dressait simplement le parallèle entre l’apprentissage de la musique et l’apprentissage d’une langue, mais en employant des arguments que je trouvais très évocateurs. La musique, dit-il, est exactement comme une langue. Le plus tôt on l’apprend dans la vie, le mieux c’est. Il n’est cependant jamais trop tard pour commencer à apprendre. Il faut absolument faire des erreurs afin d’apprendre, mais il ne faut pas que ceux qui maîtrisent déjà la langue (qu’elle soit musicale ou verbale) tentent d’atténuer précocement les « erreurs » des débutants étant donné que cela s’avèrera assez décourageant merci.
Bref, tout ça pour dire que, finalement, il ne sert à rien de taper sur les doigts des jeunes qui emploient le français en situation d’apprentissage et dans la vie de tous les jours lorsque se glissent dans le discours quelques « erreurs » de langue. Ce qu’on cherche à éviter, après tout, c’est qu’ils fassent un jour volte-face au français, comme une proportion trop importante de ces mêmes jeunes qui tourne le dos à la musique lors de l’adolescence parce qu’ils se sont trop fait dire de pratiquer des gammes au lieu de jouer de leur instrument avec cœur comme en est le but principal. Le français que nous apprenons et tentons de parler est comme de la musique classique en fin de compte. Les gens comme Adriana savent toutefois y ajouter avec brio quelques bémols et dièses afin d’en faire un jazz entraînant!