Le 12 mars 2103, le Manitoba Chamber Orchestra a poursuivi la célébration de son 40e anniversaire par un programme insolite consacré à deux oeuvres de théâtre musical, Brundibár, du compositeur Tchèque Hans Krása, et L’Histoire du soldat d’Igor Stravinsky. Ce sont des oeuvres qui ont été composées dans les périodes tragiques des deux grandes guerres du 20e siècle.

Krása est un chef d’orchestre et compositeur juif de descendance allemande né à Prague en 1899, dont la carrière prometteuse s’est terminée tragiquement en octobre 1944 à Auschwitz. Ses oeuvres, surtout de la musique de chambre et vocale, sont tombées dans l’oubli jusqu’à ce qu’elles réapparaissent peu à peu au milieu des années 1980. Il a composé Brundibár en 1934, en collaboration avec l’écrivain Adolf Hoffmeister, dans le cadre d’un concours d’opéra pour enfants organisé par le Ministère de l’éducation et de la culture tchèque.

Suite à l’invasion de la Tchécoslovaque par les Nazis, le concours a été annulé. Toute présentation publique étant interdite par l’occupant, Brundibár a cependant été joué dans trois représentations privées à l’Orphelinat pour garçons du ghetto de Prague en 1942, avant que tous les enfants et le personnel ne soient envoyés au camp de Theresienstadt, où Krása était déjà interné depuis le mois d’août. Un membre du personnel avait caché une copie de l’opéra avec accompagnement de piano dans ses bagages et l’a remise à Krása, qui a refait une orchestration avec les instruments disponibles au camp. Il y a été joué à 55 reprises dans un théâtre improvisé à l’intérieur des baraquements. Les Nazis en ont fait un objet de propagande pour camoufler l’horreur des camps. Plus que sa valeur musicale, l’intérêt principal de cette oeuvre est le contexte dans lequel elle a été créée. La conserver au répertoire est un devoir de mémoire.

Brundibár raconte l’histoire de deux enfants qui cherchent du lait pour leur mère malade. Le laitier refusant de leur en donner, ils essaient de gagner quelques sous en chantant dans la rue, mais le méchant Brundibár, un joueur d’orgue de barbarie, les en empêche. Découragés, les enfants s’endorment sur un banc. Pendant la nuit, des animaux viennent les consoler et décident de les aider le jour venu. Ils organisent un spectacle pour les enfants et neutralisent Brundibár qui tente de voler leur bourse. Les enfants peuvent enfin acheter du lait. C’est une oeuvre pour enfants charmante, qui a été très bien jouée et chantée par les Pembina Trails Voices, un choeur mixte de 80 enfants. Les voix sont belles et justes et la diction excellente. Les solistes ont chanté avec assurance et ne se sont pas laissés distraire par quelques problèmes de sonorisation. L’orchestre d’une quinzaine de musiciens a donné un accompagnement de très haute qualité. La directrice du choeur, Mme Ruth Wiwchar, a dirigé avec autorité cette partie du concert en remplacement de Mme Anne Manson, qui avait du s’absenter.

Stravinsky s’était acquis une grande notoriété grâce à sa collaboration avec Les Ballets russes de Sergei Diaghilev lorsqu’il s’est exilé en Suisse pendant la première guerre mondiale, suite à la révolution bolchevique. Ayant perdu ses principales sources de revenus, il avait peine à joindre les deux bouts pour nourrir sa famille de quatre enfants. Il imagine alors monter un petit spectacle ambulant en collaboration avec l’écrivain Charles-Ferdinand Ramuz. S’inspirant d’un conte populaire russe trouvé dans la bibliothèque de son père, il compose L’Histoire du soldat. Un soldat en permission qui fait route vers son village rencontre le diable sur son chemin. Ce dernier le séduit en lui faisant miroiter la possibilité de s’enrichir sans limite grâce à un livre magique qu’il lui offre d’échanger contre son violon. Le soldat accepte le pacte. D’aventure en aventure il se rendra compte que sa richesse est devenue son enfer mais ne pourra se libérer de l’emprise du diable qui l’entraînera finalement avec lui à tout jamais. L’oeuvre a été composée pour un petit ensemble de trois récitants (mais parfois par un seul, comme ce fut le cas pour le concert) et sept musiciens.

Le comédien Arne MacPherson s’est très bien acquitté de rôle de récitant. Déclamant le texte en anglais, le rythme et la diction étaient excellents et il a su moduler sa voix pour distinguer les personnages du narrateur, du soldat et du diable. Il n’avait pas mémorisé le texte et devait parfois jongler avec sa copie, mais cela n’a pas dérangé outre-mesure. Les musiciens ont donné une performance remarquable. Les instruments aigus, qui jouent les lignes mélodiques, étaient forcément plus en évidence. Karl Stobbe, au violon, a été particulièrement éblouissant, démontrant beaucoup de virtuosité et de sensibilité. Connie Gittin à la clarinette et Guy Few au cornet ont joué de très belles lignes, surtout dans les mouvements de marche. Ils ont été bien soutenus par Meredith Johnson, contre-basse, James Ewen, basson, Steven Dyer, trombone et Victoria Sparks, percussions. Earl Stafford a été invité à remplacer Anne Manson à la direction. Il a assuré une parfaite synchronisation entre la narration et la musique.

Manitoba Chamber Orchestra
Westminster United Church, Winnipeg, le 12 mars 2013

Brundibár, Hans Krása
Pembina Trails Voices
Ruth Wiwchar, chef

L’Histoire du soldat, Igor Stravinsky
Earl Stafford, chef