L’Orchestre symphonique de Winnipeg terminait la série des grands concerts de sa 65e saison par la présentation très attendue de la 9e Symphonie de Beethoven, les 10, 11 et 12 mai 2013, l’une des oeuvres musicales les plus profondes, les plus puissantes, les plus inspirantes et sans doute la plus universelle jamais composée.
Le concert du samedi soir a attiré une grande foule, dont plusieurs parents et amis des choristes, obligeant l’ouverture du balcon, ce qui se produit rarement pour les concerts de la série Masterworks. Les oeuvres chorales et Beethoven sont toujours de très bons vendeurs. Les applaudissements nourris après chaque mouvement révélaient la présence d’un nombre important d’auditeurs qui assistaient sans doute à un concert symphonique pour la première fois.
Dès les premières notes de l’ouverture, on se rend compte que quelque chose ne va pas. Mickelthwate s’active beaucoup au pupitre, mais on ne le sent pas en communication avec les musiciens. Les premières mesures qui devraient créer une atmosphère hésitante et un peu mystérieuse avant l’exposition éclatante du premier thème donnent plutôt une impression de confusion que le chef, qui dirigeait de mémoire, a eu peine à corriger. On a entendu de nombreux flottements tout au long du mouvement.
Le second mouvement a été mieux réussi, en particulier le presto central. Mickelthwate maîtrise bien ces mouvements vifs, joyeux et dansants. Mais il ne parvient toujours pas à infuser de l’émotion, à donner de l’élan à la musique, surtout chez les cordes. L’interprétation repose uniquement sur le rythme et les variations de volume. Le jeu manque de relief et de souplesse. Une innovation de Beethoven, dans ce mouvement: l’utilisation de la timbale en solo pour marquer des changements de tonalité.
Le troisième mouvement lent et chantant (Adagio molto e cantabile), le plus court de l’oeuvre, est un moment de repos et de remise en marche après l’effervescence du sherzo précédent, en préparation du mouvement final. Il comprend de très belles lignes chez les cuivres et les bois, qui ont été très bien exécutées.
On a constaté dès les premiers accords que le quatrième mouvement avait peut-être été travaillé davantage que les trois mouvements précédents. Les musiciens semblent jouer avec plus d’engagement et être en meilleure communication avec le chef. Mais Mickelthwate n’a pas davantage réussi à donner de l’âme à ce mouvement, misant tout sur le rythme et le volume sonore, qui est amplifié par l’addition du choeur. L’ensemble des musiciens ont joué avec énergie et démontré beaucoup de virtuosité dans l’exécution de tout le mouvement. L’introduction du thème par les cordes basses a été exécutée de manière très linéaire, sans beaucoup de nuances, mais le son était saisissant. Le baryton Justin Welsh a entonné son appel “Mes frères, cessons nos plaintes! Qu’un cri joyeux élève aux cieux nos chants de fête et nos accords pieux. Joie!” d’une voix forte, chaleureuse et convaincante.
Le choeur d’une centaine de voix, provenant du Winnipeg Philharmonic Choir, dirigé par Yuri Klaz et du Flin Flon Community Choir, dirigé par Crystal Kolt, a très bien attaqué les premières strophes de l’Ode à la joie, chantant avec émotion et une excellente articulation. Les voix de femmes, beaucoup plus nombreuses, dominaient cependant dans les fortes et fortissimos, ce qui enlevait de la couleur à l’ensemble. Les jeunes solistes Lara Ciekiewicz, soprano, Michèle Bogdanowicz, mezzo-soprano, Edgar Ernesto Ramirez, ténor et Justin Welsh, baryton se sont bien tirés d’affaire. Welsh et Bogdanowicz ont été les plus solides, proclamant avec clarté le texte d’une voix riche et assez puissante pour être toujours présente. Ciekiewicz a chanté très bien jusqu’à ce que sa voix se fatigue dans les aigus et qu’elle rate une note vers la fin de sa dernière intervention. Ramirez a très bien chanté en solo mais sa voix manquait de puissance dans les duos et quatuors, où on l’entendait à peine.
À mesure que le mouvement avance, les strophes sont reprises à un rythme de plus en plus rapide et de plus en plus fort alors que tous appellent avec élan et ferveur à la fraternité universelle: “Parcourez, frères, votre course, joyeux comme un héros volant à la victoire! Qu’ils s’enlacent tous les êtres! … Frères, au dessus de la tente céleste doit régner un tendre père… Joie! Joie! Belle étincelle divine!” Cette intensification du mouvement doit être bien contrôlée pour maintenir un beau son dans le choeur et une articulation claire des paroles. Mickelthwate a imposé un rythme si rapide et demandé tellement de volume que les dernières mesures sont devenues une suite de cris stridents dominés par les sopranos, sans musicalité, où l’on n’entendait plus aucune parole. Ce finale évoquait davantage le désordre que l’unité, la souffrance de l’effort que la joie. Cette fin bruyante a soulevé une partie de l’auditoire, qui a soutenu une longue ovation que justifiait davantage l’effort déployé par les musiciens et les choristes que la qualité de la musique que nous venions d’entendre.
Ce concert ne fut pas un échec, mais il n’était pas à la hauteur des capacités de l’orchestre. Mickelthwate n’a pas réussi à mettre en valeur la superbe architecture de cette oeuvre monumentale, à en exprimer la grande intensité émotionnelle et la transcendance spirituelle, à mettre en lumière toutes les couleurs de la musique. Sa manière de diriger est de faire de l’effet, d’épater, au lieu d’exprimer une pensée, comme s’il ne parvenait pas à saisir le sens de l’oeuvre, comme s’il était incapable d’en pénétrer la profondeur des sentiments. Il dirige en deux dimensions: l’horizontalité du rythme et la verticalité du volume. Il ne parvient pas à pénétrer dans la sphère multidimensionnelle de l’univers du sentiment, de l’émotion, de la spiritualité, là où la musique transcende le réel, élève les esprits et touche la profondeur de l’âme.
En première partie, on a entendu une oeuvre peu connue, Schelomo (Salomon), d’Ernest Bloch, une mise en musique du livre de l’Ecclésiaste, pour violoncelle et orchestre, interprétée par Yuri Hooker, violoncelle solo de l’OSW. Schelomo exprime un large éventail d’émotions dramatiques, depuis les lamentations de Salomon sur la déchéance spirituelle de son peuple jusqu’à une prière ardente en faveur de la fraternité et de la paix. Magnifiquement interprétée par Hooker, cette oeuvre préparait bien l’audition de la 9e Symphonie.
Orchestre symphonique de Winnipeg
Le 11 mai 2013, Salle de concert du Centenaire, Winnipeg
Alexander Mickelthwate, chef
Yuri Hooker, violoncelle
Lara Ciekiewicz, soprano
Michèle Bogdanowicz, mezzo-soprano
Edgar Ernesto Ramirez, ténor
Justin Welsh, baryton
Winnipeg Philharmonic Choir, Yuri Klaz, directeur artistique
Flin Flon Community Choir, Crystal Kolt, directrice artistique
Schelomo: rapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre, Ernest Bloch
Symphonie no. 9 en ré mineur, op. 125, Ludwig van Beethoven