Par Thibault JOURDAN | twitter : @OropherDorthoni
L’Alliance des producteurs francophones du Canada craint que la nouvelle licence du CRTC accordée à Radio Canada appauvrisse les producteurs audiovisuels en milieu minoritaire.
Natalie McNeil est inquiète. La directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), qui représente les producteurs audiovisuels francophones locaux en milieu minoritaire, craint que ses membres ne s’appauvrissent dans les années à venir. En cause : certaines conditions de la nouvelle licence accordée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) à la Société Radio Canada (SRC), applicable à partir du 1er septembre prochain.
À première vue, pourtant, la décision du CRTC est très favorable aux producteurs indépendants : outre le fait que la SRC doit consacrer au moins cinq heures par semaine à de la programmation locale, elle impose au diffuseur public de dépenser au minimum 6 % de son budget annuel de programmation envers des producteurs indépendants locaux. Selon des calculs de l’APFC, l’entreprise publique a alloué en moyenne 5,5 % de ce budget aux producteurs indépendants entre 2008 et 2011, hors Québec. « Il n’y avait pas d’exigences budgétaires auparavant, insiste Guillaume Castonguay, porte-parole du CRTC. Seules des obligations en termes d’heures existaient. »
Or, ce qui préoccupe particulièrement Natalie McNeil, c’est que les nouvelles exigences de dépenses englobent aussi les producteurs installés au Québec, hors Montréal. « On aurait souhaité que les règles protègent plus la production canadienne-française, explique-t-elle. On voulait que le minimum de dépenses recommandé par le CRTC soit réservé à la production francophone hors Québec. C’est en cela que la décision du CRTC est une vraie déception. »
Une inquiétude partagée par Patrick Clément, co-directeur et producteur à Médias Rendezvous. « La réalité que vivent les producteurs francophones en milieu minoritaire n’est pas la même que celle des producteurs en région au Québec, assure-t-il. Je ne pense pas que nous devrions être mis dans la même catégorie. » Il craint aussi une dissolution de l’identité francophone sur les ondes du diffuseur public. « Cette décision aura un impact pour tous les francophones hors Québec, déplore le producteur. Une production de Chicoutimi sera très différente d’une production de Saint-Boniface ».
Financièrement, l’APFC estime que ce changement pourrait entraîner une perte nette d’environ 50 % pour les producteurs francophones hors Québec. « Bien sûr, l’argent est un enjeu important, renchérit Patrick Clément. Mais ce qui est plus important encore, c’est qu’avant la SRC avait l’obligation de travailler avec des producteurs indépendants francophones en milieu minoritaire. Cette obligation n’existe plus, Radio Canada pourrait donc dépenser 5,9 % du budget dans les régions au Québec et 0,1 % ailleurs au Canada. »
Face à cette dissymétrie possible, le CRTC se défend en disant s’attendre « à ce que le budget soit raisonnablement réparti », selon Guillaume Castonguay. Natalie McNeil, elle, espère que Radio Canada continuera de soutenir les producteurs indépendants « comme elle l’a toujours fait », et ne se contentera pas uniquement des 6 %.