Le jeune pianiste de 18 ans Jan Lisiecki a séduit l’auditoire par une interprétation inspirée, en première mondiale, d’une adaptation pour orchestre de chambre du Concerto pour piano en la mineur de Grieg, lors du premier concert de la nouvelle saison musicale présenté par le Manitoba Chamber Orchestra le 11 septembre 2013.

La formation pianistique a beaucoup évolué au cours du XXe siècle et des virtuoses sortent maintenant en grand nombre des conservatoires et des écoles et facultés de musique à travers le monde. À 18 ans, Jan Lisiecki est un jeune prodige au talent naturel, qui n’a pas eu à suivre le cycle normal de formation et de développement des pianistes pour se démarquer.  Inscrit au programme de baccalauréat de l’École Glenn Gould du Royal Conservatory of Music, à Toronto, depuis septembre 2011, il n’a pas du souvent y mettre les pieds car il commençait alors une brillante et très active carrière professionnelle internationale, comme soliste avec les plus grands orchestres et en récital. Sous contrat exclusif avec Deutche Gramophon, ses premiers enregistrements ont été louangés par la critique et certains primés. Anne Manson, à qui Lisiecki a confessé ne pas avoir encore travaillé le concerto de Grieg avec son professeur, se demandait, lors de la présentation du concert, “mais que pourrait-il encore lui enseigner?”  “La musique a grandi en moi et j’ai grandi avec la musique”, répond Lisiecki quand on lui demande quand il a décidé de consacrer sa vie au piano.

Seul concerto composé par Edvar Grieg à l’âge de 25 ans, le Concerto pour piano est l’un des plus beaux et des plus populaires du répertoire. On le reconnaît dès les premières mesures de la mémorable ouverture du premier mouvement. Il a été composé pour un orchestre symphonique. Comme il n’était pas envisageable d’augmenter les effectifs de l’orchestre pour jouer l’oeuvre telle qu’elle a été écrite, le MCO a commandé expressément pour ce concert une orchestration pour petit ensemble de cordes et deux cors au compositeur canadien Michael Oesterle. Oesterle a suivi les lignes mélodiques de l’orchestration de Grieg mais a composé un accompagnement original qui exploite à la perfection la sonorité et les couleurs propres des instruments de l’orchestre. Cela donne un concerto très différent de l’original, plus poétique, plus intimiste, où le piano est plus dominant.

N’ayant pas à lutter contre la puissance d’un orchestre symphonique et sentant bien la présence du public dans l’intimité de la Westminster United Church, Lisiecki a pu jouer en pleine liberté d’expression. Il s’est laissé emporter avec toute l’ardeur de ses 18 ans par le romantisme lyrique de l’oeuvre. Jouant presque tout le temps les yeux fermés, des élans passionnés jaillissaient avec puissance des profondeurs de son coeur, les notes des épanchements amoureux tombaient comme des larmes, les lignes poétiques nous révélaient sa grande tendresse.  Il nous a fait vivre une merveilleuse expérience musicale, qui n’est pas le fruit d’une virtuosité technique acquise mais la grâce d’un don inné qui s’exprime dans un total abandon. Inspirés par le jeune soliste, Anne Manson et ses musiciens ont donné un accompagnement sublime. Cette version du concerto est une oeuvre remarquable qui s’ajoutera certainement au répertoire de musique de chambre. Souhaitons que le MCO en fasse le premier enregistrement avec Lisiecki.

La soirée avait débuté par une exécution enjouée des Danses populaires roumaines (adaptation pour orchestre de chambre) de Béla Bartók. C’est une pièce courte d’une durée d’environ cinq minutes, qui reprend sept thèmes folkloriques de la Transylvanie (maintenant intégrée à la Roumanie) que Bartók avait recueillis dans ses recherches sur le terrain. L’orchestration est superbe, évoquant souvent les violons tsiganes. Ce fut une belle célébration d’ouverture de la nouvelle saison musicale.

La Symphonie no 3, de Philip Glass, un des plus grands compositeurs contemporains américains, complétait la première partie du programme. C’est une oeuvre dans le style de la musique répétitive, presque minimaliste, composée pour un ensemble de 19 instruments à corde, chacun étant considéré comme un soliste. Il n’y a pas de lignes mélodiques mais des séquences de mesures qui sont jouées sur une même note en répétition. La musique évolue par des changements de notes, de nuances ou de rythmes, toujours en répétitions, donnant un effet de mouvement continu plus ou moins rapide et intense. La superposition des instruments qui peuvent jouer des notes différentes, à des nuances ou à des rythmes différents (certains passages comptent 19 parties), crée un merveilleux effet de polyphonie. L’enregistrement de cette oeuvre par le MCO, lancé en février 2013, a été chaleureusement accueilli par la critique.

 

 

Manitoba Chamber Orchestra
Anne Manson, chef
Jan Lisiecki, piano
Westminster United Church, Winnipeg
Le 11 septembre 2013

 

Danses populaires roumaines, Béla Bartók

Symphonie no 3, Philip Glass

Concerto pour piano en la mineur, op. 16, Edvar Grieg

Orchesration: Michael Osterle