Le Commissaire aux services en Français de l’Ontario, Me François Boileau a demandé à ce que son statut soit modifié afin d’acquérir une plus grande autonomie.C’est ainsi qu’a été relancé le débat sur l’indépendance des officiers chargés des services en français.
Après avoir publié son premier rapport annuel, François Boileau a reçu un message très critique de la Province. « Je leur ai dit que j’allais publier textuellement leur réponse dans mon prochain rapport en leur donnant une deuxième chance de réagir. » La deuxième réponse a été plus nuancée. Et c’est sur cette base que le Commissaire aux services en français (CSF) de l’Ontario a établi une relation de travail avec les autorités.
Mais relever d’un ministère ne satisfaisait pas François Boileau. « J’ai été perçu comme étant indépendant et la ministre déléguée aux Affaires francophones m’a laissé les coudées franches. Mais ça dépend entièrement de la direction choisie par le ministère. Ça pourrait changer du tout au tout. On pourrait me dire : merci, ce n’est pas de ta compétence, tu ne devrais pas faire enquête. En 2008, le gouvernement aurait pu ne pas répondre et la situation serait toute autre. »
Le CSF ontarien est chargé de mener des enquêtes, de préparer des rapports et de surveiller les progrès gouvernementaux sur le plan des services. L’an dernier, François Boileau a demandé que son statut soit modifié pour relever de l’autorité législative, comme au Nouveau-Brunswick. Ce 25 septembre, la ministre Meilleur a livré en déposant un projet de loi avec l’appui de l’opposition. Le débat national sur l’autonomie des officiers chargés des services en français a ainsi été relancé.
Deux provinces (ON et NB) et deux territoires (TNO et NU) ont un haut fonctionnaire indépendant du gouvernement. Les autres ont une direction ou un secrétariat relevant d’un ministère qui les oriente selon une loi ou une politique. Chaque juridiction établit une réponse appropriée à la demande de services en français d’après un ensemble d’intérêts politiques. À Terre-Neuve et Labrador, par exemple, le chef des services en français doit obtenir une autorisation pour parler aux médias.
« La différence, précise François Boileau, c’est que le fonctionnaire sous l’autorité d’un ministère a une influence à l’interne alors que le commissaire indépendant peut ouvrir un débat sur la place publique. Et là, c’est au gouvernement de répondre publiquement. »
« L’indépendance est absolument critique, souligne l’ancien ministre Bernard Richard, qui a été successivement commissaire à l’information, ombudsman et défenseur des enfants au Nouveau-Brunswick. Pas seulement face au gouvernement mais aussi vis-à-vis la communauté et les médias.
« L’indépendance était un défi parce que comme député, explique-t-il, j’avais des relations amicales avec beaucoup de monde. Comme commissaire, tu dois établir des liens politiques et administratifs pour négocier des solutions. Si t’es trop amical, ça déteint sur la fonction. Il faut être capable de faire son travail sans contraintes. »
En 2011, le premier ministre Alward a confié à Bernard Richard une étude sur les moyens d’améliorer l’efficacité des huit officiers législatifs sans compromettre leur indépendance. Après avoir consulté nationalement, l’ex-ombudsman a formulé cette recommandation-clé, acceptée par la Province : « Que le mandat des officiers soit fixe, d’une durée de sept ans et non renouvelable ».
« Si on est trop longtemps en poste, assure-t-il, l’autonomie est à risque. Le commissaire doit être indépendant du premier au dernier jour de son mandat. Il ne devrait pas avoir à impressionner quiconque pour être renommé. » Les deux dernières juridictions (NU et TNO) à légiférer sur les langues officielles ont établi des mandats fixes de quatre ans non renouvelables. La barre est haute.
« Ailleurs, des fonctionnaires sont chargés de mettre en œuvre des politiques, reconnaît Bernard Richard, mais ils n’ont pas d’autonomie. C’est bon que les provinces prennent leurs responsabilités face aux francophones. Mais il y a une marge entre ces rôles-là et les commissaires. » François Boileau souscrit : « Avant 2007, l’Ontario avait un Office des affaires francophones qui recevait annuellement de 30 à 40 plaintes. Depuis la création du Commissariat, on en reçoit près de 400 par année. »
Le Secrétariat francophone sous Alberta Culture, par exemple, a été fondé par décret. « Il n’y a pas de loi sur les services en français, explique la directrice Cindie LeBlanc. La Province et la communauté ont élaboré ensemble une politique mais elle a été mise en veilleuse en attendant la conclusion d’une contestation judiciaire. » La cause Caron conteste depuis 2003 la loi provinciale sur l’unilinguisme dans l’espoir qu’un jugement permettrait de statuer sur les services en français.
Il faut avoir le courage de faire le débat maintenant quand on a des chances de réussir. Dans 20 ou 30 ans, il sera trop tard. – François Boileau
Depuis 15 ans, les provinces et territoires connaissent une forte progression des services en français. François Boileau encourage les communautés à exercer des pressions pour augmenter l’autonomie de leurs défenseurs. « Il faut avoir le courage de faire le débat maintenant quand on a des chances de réussir. Dans 20 ou 30 ans, il sera trop tard. »
L’an 2013 annonce une nouvelle ère de collaboration visant à rehausser l’influence des commissaires. Les trois du Canada, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick présenteront un premier rapport conjoint, portant sur la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, lors de la Rencontre annuelle du Programme d’appui aux droits linguistiques, le 20 novembre à Ottawa. D’après François Boileau, il y en aura d’autres.
Par Jean-Pierre DUBÉ – APF